« The Indian Queen », le théâtre et son « double »

 

« The Indian Queen » par Concert d’Astrée emmené par Emmanuelle Haïm, dans une mise en scène de Guy Cassiers, a fait sensation au théâtre de Caen. De longues minutes d’applaudissements ont salué cette production singulière et envoûtante. A la fois théâtre et opéra, l’œuvre de Purcell, restée inachevée, se trouve comblée, dans tous les sens du terme, par un choix d’extraits tirés des répertoires du compositeur et de son contemporain, Matthew Locke. Un usage éclairé de la vidéo et des interprètes remarquables tant dans la fosse que sur le plateau concourent à cette belle réussite.

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« Treemonisha », l’arbre de vie

 

Ouverture de saison réussie.  Le public du théâtre de Caen a réservé un accueil enthousiaste à la compagnie sud-africaine Isango et à son spectacle « Treemonisha », dont c’était la première avant une tournée. Avec cette œuvre, le compositeur Scott Joplin signait là le premier opéra par et pour des Afro-américains. L’Isango Ensemble et son metteur-en-scène, Mark Dornford-May en ont tiré une adaptation très percussive sans en affecter l’esprit positif.

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« Alcina », l’amour en trompe-l’œil

Belle et grande production que cette « Alcina » de Haendel, présentée deux soirs de suite au théâtre de Caen. Vávlav Luks, à la tête de Collegium 1704 et Jiří Heřman à la mise en scène, donnent à cette production tchèque un souffle musical et une inventivité, servies par décor étonnant, mouvant et polymorphe. Cet opéra est un festival d’arias et de prouesses vocales. Dans le rôle-titre, la soprano canadienne Karina Gauvin mène une distribution internationale hors-pair, parmi laquelle le jeune contre-ténor américain Ray Chenez s’affirme comme un nom vraiment à suivre.

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« Cosi fan tutte », contentissimi!

Avec Emmanuelle Haïm à la baguette, Laurent Pelly à la mise en scène, c’est un « Cosi fan tutte » prometteur qui s’annonçait au théâtre de Caen. L’intérêt était de surcroît aiguisé par la présence sur scène de l’enfant du pays, le ténor Cyrille Dubois. Le résultat a dépassé l’attente. L’opéra de Mozart a été servi par un orchestre, le Concert d’Astrée, au mieux de sa forme, une équipe de chanteuses et chanteurs au diapason. Le tout dans une scénographie judicieuse.

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« Cupid and death », le masque et la flèche

Il y a quelque ironie à présenter un « mask » _ lointain ancêtre anglais du music-hall _ devant des spectateurs masqués. Mais au moins, le public du théâtre de C aen a-t-il retrouvé le chemin des fauteuils pour cette découverte qu’offre « Cupid and Death ». On la doit à l’infatigable explorateur des répertoires qu’est Sébastien Daucé, avec son ensemble Correspondances. Comme pour « Songs », il y a trois ans, c’est dans l’Angleterre du XVIIe siècle qu’il a déniché cette pépite que l’on doit aux compositeurs Christopher Gibbons et Matthew Locke sur un texte de James Shirley. La complicité d’Emily Wilson et de Jos Houben, à la mise en scène, ajoute à ce « mask » un souffle de folie douce.

Cupidon se trompe de flèche et les ennuis commencent… (Photo Alban Van Vassenhove)

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« Vivian: clicks and pics », en quête de révélateur

A  l’heure de l’image numérique, le compositeur Benjamin Dupé propose un hommage original à la photographe Vivian Maier. « Vivian : clicks and pics », un opéra de chambre (noire), explore l’étrange démarche de cette nurse américaine qui a laissé des milliers de négatifs sans avoir opéré le moindre tirage. Par la voix de la soprano Léa Trommenslager et le piano de Caroline Cren, la musique de Benjamin Dupé sur un texte de Guillaume Poix, interroge le destin insolite d’une œuvre désintéressée devenue un business.

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« Cendrillon », l’important c’est la rose…

La fondation Bru Zane, installée à Venise, a à cœur de faire redécouvrir tout un pan de la musique française du XIXe siècle. Le théâtre de Caen bénéficie de ce travail depuis plusieurs années. Dernière production en date, « Cendrillon » un opéra de Nicolas Isouard, créé en 1810 à l’Opéra-Comique, à Paris, inspiré du célébrissime conte de Charles Perrault. Avec dans la fosse le Concert de la Loge, dirigé par Julien Chauvin, l’œuvre, toute de fraîcheur mise en scène par Marc Paquien, réunit sur scène un quintet convaincant de chanteuses et chanteurs ainsi que deux comédiens irrésistibles.

Photo Cyrille Cauvet. Opéra de Limoges.

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« Psyché », le s(w)inging London de Locke

Sébastien Daucé et son ensemble Correspondances entraînent avec « Psyché » dans le Londres de Charles II. Après les années austères du républicain Cromwell, l’Angleterre renoue avec la cour avec dans la ligne de mire du souverain en place le modèle de Louis XIV. C’est ainsi que le compositeur Matthew Locke se voit confier la mission de créer le premier opéra anglais. La « Psyché » Lully lui sert d’exemple. Sébastien Daucé s’en empare dans une version de concert, dont il a fallu combler des blancs. Avec ses musiciens et chanteurs, il a présenté au théâtre de Caen une reconstruction convaincante à souhait.

« Psyché », lors de la création au festival Midsummer au château d’Hardelot (Pas-de-Calais). (Photo Sébastien Mahieux).

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« Madame Favart » sous toutes les coutures

Il fallait bien un Offenbach pour terminer l’année au théâtre de Caen. D’autant que toute l’année 2019 a marqué le bicentenaire de la naissance du compositeur d’ « Orphée aux enfers ». Parmi ses opéras bouffe à la française, « Madame Favart » ne compte pas parmi les plus connus et donc les plus mis en scène. Mais il fête à sa façon une artiste très célèbre en son temps, Justine Favart. Elle et son mari ont laissé leur nom à l’Opéra Comique. La salle parisienne a tout naturellement accueilli cette nouvelle production réjouissante, dont le théâtre de Caen est partenaire.

De gauche à droite : François Rougier (Boispréau), Anne-Catherine Gillet (Suzanne) ; Christian Helmer (Favart) ; Marion Lebègue (Madame Favart). © S. Brion.

Quand il écrit « Madame Favart », Jacques Offenbach (1819-1880) est au soir de sa vie. Ses origines allemandes et sa popularité due à ses grands succès sous le Second Empire l’ont rendu suspect au regard de la IIIe République née dans la douleur de la défaite de 1870 et de la Commune. Le compositeur vient de traverser des années difficiles quand il se penche sur le destin de Justine Favart juste avant la « Fille du Tambour Major ». Après ce sera son grand œuvre « Les Contes d’Hoffmann », qui éclipsera un peu ce qui sera classé comme ses « opéras patriotiques ».

Offenbach a besoin d’une nouvelle reconnaissance. Il s’intéresse à l’histoire de Justine Duronceray (1727-1772), encore inscrite un siècle plus tard dans la mémoire collective. Cette artiste complète _ elle joue, danse, chante, compose _ est l’épouse de Charles-Simon Favart, directeur de l’Opéra Comique. Le couple et leur troupe de comédiens sont engagés par le Maréchal de Saxe. Il s’agit d’entretenir le moral des troupes de Louis XV engagées dans la guerre de succession d’Autriche, dont le sort se scellera à Fontenoy, au Pays Bas, par une victoire française.

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Happy end pour les Favart. Pontsablé est révoqué par le roi. Favart est nommé à la tête de l’Opéra Comique.© S. Brion.

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Le Maréchal avait des vues sur Justine Favart et manœuvra pour éloigner le mari. Cet épisode de la petite histoire dans la grande histoire avait de quoi réveiller des cocoricos républicains, qui, dans un contexte victorieux, retiennent comment un grand aristocrate a été mis en échec par une comédienne. Avec la complicité des librettistes Alfred Duru et Henri Chivot, Offenbach concocte une intrigue à la Molière, avec force ruses, quiproquos, travestissements, qu’illustre une musique frénétique.

Le lever de rideau fait découvrir un atelier de confection de costumes, réplique de celui de l’Opéra Comique. Il convient de le savoir pour ne pas céder à l’incongruité de certaines répliques du premier acte. Ainsi d’Hector de Boispréau, ami de Justine Favart, qui réclame une omelette au milieu de machines à coudre ! Par cette option de décor, Anne Kessler, qui signe la mise en scène, applique la formule du théâtre dans le théâtre.

« Madame Favart » prend corps dans l’atelier de costumes de l’Opéra Comique, et s’inspire de la mode des années 1950. © S. Brion.

Ainsi se laisse-t-on imaginer tout le personnel de l’atelier représenté les chanteurs et choristes, blouse blanche et mètre ruban autour du cou, s’inscrire progressivement dans l’histoire de « Madame Favart ». Ce qui explique aussi la présence d’un jeune garçon qu’on peut supposer l’enfant d’une couturière. Le décor est amené à s’effacer ainsi aux yeux du spectateur qui vont s’attacher à l’évolution des personnages. Mais le choix, qui répond certes dans un hommage à la salle Favart et à ses coulisses, aurait été plus explicite, si, par exemple, plusieurs des mannequins portaient les doubles des costumes des protagonistes.

Car les rebondissements qui parsèment cet opéra-bouffe impliquent des travestissements, dont Madame Favart devient une spécialiste. La vraie Justine fut reconnue comme pionnière dans l’utilisation de costumes réalistes sur scène. Là, son personnage apparaît sous toutes les coutures  _ chanteuse des rues, servante, douairière, marchande _ pour déjouer les recherches du gouverneur Pontsablé missionné par le Maréchal, avant d’apparaître enfin dans sa vraie nature d’artiste lyrique.

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Le gouverneur de Pontsablé (Eric Huchet) se fait mystifier.©S. Brion.

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La mezzo Marion Lebègue incarne avec une spontanéité assurée une Favart d’emblée sympathique. Autour d’elle, est réunie une équipe de chanteurs aux interventions vocalement heureuses : Christian Helmer (Favart), baryton efficace ; François Rougier (Boispréau), un ténor à suivre. On avoue un faible pour le timbre confiant de la soprano Anne-Catherine Gillet (Suzanne, la jeune épouse de Boispréau), qui, à ses qualités de chanteuse, ajoute la souplesse d’une danseuse de Cancan.

Franck Leguérinel (Major Cotignac) et Eric Huchet (Pontsablé), dont la silhouette et le phrasé évoquent un Jean Tissier complètent une distribution, solidement épaulée par le Chœur de l’Opéra de Limoges. L’orchestre de ce même opéra, mené de main de maître par Laurent Campellone, intervient sans faille au fil de l’histoire qui se conclut dans un décor de fumoir de l’Opéra Comique. Toujours lui ( !), pour effacer un peu plus le regret d’Offenbach de ne pas avoir vu sa « Madame Favart » créée place Boieldieu.

Un (petit) regret toutefois. Entre certains passages joués et d’autres chantés, s’immiscent des « blancs », qui auraient mérité être balayés par un peu plus de folie. Même si on leur doit « Les Chevaliers de la Table Ronde » d’Hervé, les librettistes de « Madame Favart », n’atteignent pas ici la même truculence de la paire Meilhac-Halevy de « La Vie parisienne » des « Brigands » ou de « La Périchole ». Bon, il y a des formules délicieuses, comme le nom de l’aubergiste, Biscotin, ou le qualificatif de « Nymphe potagère » (du Feydeau avant l’heure). . « Voila comment ça s’fit !»… à notre bonheur parmi des « Rantanplan » tonitruants

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« Madame Favart », au théâtre de Caen, dimanche 29 et mardi 31 décembre 2019.