Falstaff sauvé des eaux

C’est son dernier opéra. Au soir de sa vie, à 80 ans, Giuseppe Verdi s’est plongé dans un genre assez inhabituel pour lui, l’opéra bouffe. La verve shakespearienne, avec le personnage truculent de Falstaff, lui a inspiré une œuvre virtuose, où farce et drame sont l’avers et le revers d’une même pièce. L’Opéra de Lille en offre une lecture étonnante et vivace avec la complicité de Denis Podalydès à la mise en scène. Solistes, musiciens de l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg, sous la baguette d’Antonello Allemandi et chœur de l’Opéra de Lille se font les interprètes d’un tourbillon musical épatant. Coproducteur, le théâtre de Caen accueille ce spectacle pour trois soirs.

Mrs Quickly (Silvia Beltrami) déguisée en infirmière et Falstaff (Elia Fabbian) qui ne s’attend pas encore à un sérieux traitement d’amaigrissement! (Photo Alfonso Salgueiro. Grand Théâtre du Luxembourg).

 

Gonflée quand même l’idée de Denis Podalydés de transposer l’action dans un hôpital « vintage », avec ses alignements de lits ! Son compère du Français, Éric Ruf signe là une scénographie réaliste qui tranche avec un propos riche de vocabulaire imagé. Chargé des costumes, Christian Lacroix, prince des couleurs, a dû se ronger les ongles devant la dominante blouses et draps blancs… Il donnera de sa fantaisie quelques robes plus tard…

Point d’auberge de la Jarretière donc, mais une salle commune aussi souriante qu’un frigo vide. Trônant sur le lit central, silhouette de tonneau, Falstaff y règne en maître, soumettant le corps médical à ses fantaisies éthyliques jusque dans les poches de sérum ! Jouisseur impénitent, mais fauché, le vieux John se met en tête de séduire deux riches bourgeoises, Meg et Alice. Bien que n’étant pas des modèles de moralité, ses comparses, Bardolfo et Pistola, refusent de jouer les facteurs.

Les missives parviennent quand même. Deux lettres absolument identiques découvrent les intéressées. Ce goujat bouffi mérite une bonne leçon. Et du côté des cocus potentiels, on prépare aussi la riposte. L’intrigue est plantée. D’entrée, Falstaff occupe la scène. Le baryton italien, Elia Fabbian, le campe avec autorité. Sa corpulence est boursouflée en XXXL avec l’apport de prothèses. En pyjama, il est impressionnant.

 

Pas assez, bien au contraire, pour émouvoir Meg (Julie Robard-Gendre) et Alice (Gabrielle Philiponet), qui proposeraient bien un projet de loi pour taxer les gros ! Avec Mrs Pickly (Silvia Beltrami) et Nannetta (Clara Guillon), la fille d’Alice, elles forment un quatuor de choc et fomentent un plan. Deux mezzos et deux sopranos (Alice et sa fille) aux interventions et répliques toujours justes, soutenues par un orchestre à l’enthousiasme parfois débordant. On avoue un faible pour Clara Guillon et son timbre long et fluide.

Ne cherchez pas Falstaff. Il est caché dans le chariot à linge… (Photo Simon Gosselin).

Sous prétexte de rendez-vous galant, Falstaff va se faire rouler dans la farine, ou plutôt dans un bac à linge. Première déconvenue à l’initiative des joyeuses commères qui va suivre pour le gros plein de soupe à prendre le bouillon dans la Tamise. L’humiliation se superpose à la superbe du joufflu. Il mesure sa déchéance. Mais, il n’est pas au bout de sa vexation. Une deuxième couche l’attend. Encore un rendez-vous.

La mise en scène prolonge l’option hospitalière. Exit la forêt, le déguisement en chasseur noir et la mascarade de pseudo fées sorcières pour effrayer Falstaff. Là, précédé par des jeux de lumière à l’ambiance fantomatique, il se retrouve sur le billard, pour subir une liposuccion massive le vidant d’ouvrages de Shakespeare ! De cette situation cocasse, qui frise l’onirisme, c’est un homme métamorphosé qui apparaît, humble et beau joueur.

Une bonne nouvelle n’arrivant pas seule, par un joli tour de passe-passe, Nannetta se retrouve bien au bras de son amoureux Fenton (l’excellent ténor Kevin Amiel). Tout est bien qui finit bien, comme le dit le capitaine Haddock. Mais à dupé, dupé et demi, qui sait? La conclusion chantée par tout le monde s’épanouit dans un feu d’artifice musical. On reste sous le charme des mouvements, quasi chorégraphiques, des solistes et des choristes sur le plateau, tant au deuxième qu’au troisième acte.

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Représentations données au théâtre de Caen, mardi 12, jeudi 14 et samedi 16 décembre 2023.

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