« Treemonisha », l’arbre de vie

 

Ouverture de saison réussie.  Le public du théâtre de Caen a réservé un accueil enthousiaste à la compagnie sud-africaine Isango et à son spectacle « Treemonisha », dont c’était la première avant une tournée. Avec cette œuvre, le compositeur Scott Joplin signait là le premier opéra par et pour des Afro-américains. L’Isango Ensemble et son metteur-en-scène, Mark Dornford-May en ont tiré une adaptation très percussive sans en affecter l’esprit positif.

 

Les amateurs de jazz connaissent Scott Joplin comme l’inventeur du ragtime. Du moins un de ses plus emblématiques créateurs du genre. Le pianiste  contribue à la fin du XIXe à l’émergence d’une musique qui se diffuse irrémédiablement à partir du Sud des États-Unis. On sait moins que Scott Joplin est l’auteur d’un opéra,  « Treemonisha », écrit en 1911. Le compositeur ne verra jamais son œuvre montée sur scène. Il meurt six ans plus tard, à l’âge 49 ans.

Il faut attendre 1972 pour donner vie à cet opéra. C’est au Morehouse College d’Atlanta.  Trente-sept ans après la première du célébrissime « Porgy and Bess ». Si l’œuvre  de George Gerschwin peut susciter encore des polémiques inutiles, soulevées par des « clichés », elle innove en son temps par une distribution exclusivement noire-américaine. En cela, la préséance revenait à « Treemonisha ».

À sa manière, l’Isango Ensemble rend justice à Scott Joplin. En 2019, la compagnie de Cape Town (Le Cap) a marqué de son empreinte la scène caennaise avec deux spectacles, « A Man Of a Good Hope » et « Impempe Yamlingo », relecture de la « Flûte enchantée ». Elle serait venue plus tôt avec « Treemonisha » si la crise du Covid n’avait pas mis le globe sous l’éteignoir…

Isango tient une place particulière sur la planète Spectacle. La compagnie réunit des artistes issus des townships, ces bidonvilles autour du Cap. La musique, le chant, la danse y sont partagés, avec une prédilection pour les sujets qui touchent l’Afrique du Sud. Et si « Treemonisha » à l’origine se déroule dans l’Amérique profonde, ses thèmes _ l’émancipation par l’éducation et le travail, la lutte contre l’obscurantisme _ gardent toute leur résonnance.

Les artistes d’Isango s’y retrouvent dans la transposition conduite par Mark Dornford-May. Ici, pas d’orchestre symphonique. L’introduction, comme l’accompagnement des parties vocales _ solistes et chœur _ se fait au son métallo-feutré des marimbas et steel-drums. Les instruments sont placés de part et d’autre d’un plateau pentu, comme semble l’affectionner le metteur en scène d’Isango. Comédiens, chanteurs et danseurs  _ presque toutes et tous le sont _  y évoluent, quand ils ne le quittent pas pour se saisir des maillets à percussion.

La scène est entourée par un  décor de tôle ondulée. On est là dans une communauté de mineurs sud-africains, casques et cottes. Treemonisha, jeune femme instruite, fait l’unanimité autour d’elle, y compris par les hommes plus âgés qui la reconnaissent comme leur leader. Elle est la fierté de ses parents adoptifs auxquels elle doit son nom. Bébé, elle a été recueillie au pied d’un arbre.

Le village des mineurs est régulièrement assailli par Zodzedrick et son gang, prompts à extorquer quiconque contre un élixir aux vertus stupéfiantes. En d’autres temps et autres lieux, cela se terminerait par du goudron et des plumes. Là, l’enlèvement et la séquestration de Treemonisha par l’affreux Zodzedrick et sa bande est le crime de trop. Remus, le fiancé qu’elle a sorti de l’ignorance, convainc les mineurs d’intervenir. Zodzedrick et ses complices sont faits prisonniers. Ils doivent à Treemonisha, elle-même, d’éviter un châtiment.

La  conclusion est certes (év)angélique. Mais elle rejoint la symbolique de l’arbre de vie, celui-là même au pied duquel Treemonisha a été trouvée. Rétrospectivement, la proposition de Scott Joplin est résolument humaniste. Le compositeur n’a été récompensé que de façon posthume. L’énergie communicative, sinon contagieuse, de la troupe de l’Isango Ensemble, a valeur d’hommage entraînée par les voix sensibles et puissantes, évoluant entre blues gospels et accents zoulous de Nombongo Fatyi (Treemonisha), Paulina Malefane (la Mère), Ayanda Tikolo (Ned, le Père), Masakana Sotayisi (Remus).

 

Treemonisha, représentations données au théâtre de Caen, du jeudi 13 au dimanche 16 octobre 2022.

 

 

 

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