« Tristan et Isolde », tout pour la musique

Accueillir une des œuvres majeures de Richard Wagner était une occasion rare offerte par l’Opéra national de Lorraine, vendredi et dimanche au théâtre de Caen. La scène caennaise, qui participe avec Lille à cette production de « Tristan et Isolde » en a fait un des spectacles phare de sa saison. Vocalement et musicalement, des sommets de beauté ont été atteints sous la direction de Leo Hussain. Les partis pris de mise en scène de Tiago Rodrigues, le nouveau patron du festival d’Avignon ont été, eux, diversement appréciés.

Richard Wagner ne fait pas dans la demi-mesure. Une œuvre de près de cinq heures (entractes compris quand même) avec plus de cent chanteurs, musiciens et choristes impose une obligation de moyens qui ne se rencontre pas à chaque saison. Mais on ne peut laisser le monopole de telles productions aux grandes maisons, comme l’opéra Bastille, ou au festival de Bayreuth ! L’association de Nancy, Caen et Lille est, à cet égard, exemplaire.

Tristan et Isolde appartiennent à ces couples mythiques qui nourrissent l’art lyrique. Le « Pelléas et Mélisande » de Claude Debussy qu’accueillera bientôt le théâtre de Caen en est un des exemples. Berlioz et son « Roméo et Juliette » ont été source d’inspiration pour Wagner quand vers 1863 il s’est penché sur ce destin hautement romantique de la princesse irlandaise et du chevalier gallois. Outre que l’amour _ impossible _ que portait le compositeur à l’épouse de son protecteur, la poétesse Mathilde Wesendonck n’est pas étranger à ce drame musical.

Nietzsche en parlait comme d’une « volupté de l’enfer ». Dès les premières mesures lancées par les cordes des violoncelles puis les bois, on sent cette tension lancinante. Elle accompagne l’œuvre avec ses leitmotiv qui frappent l’esprit.  Elle contient des sentiments contraires qui convergent vers ce « triomphe de la nuit », auquel aspirent les amants. L’air du « Liebestod » (mort dans l’amour) que chante au final Isolde devant le corps sans vie de Tristan est un monument de référence. L’interprétation de Dorothea Roschmann est un modèle d’émotion dans ce rôle exigeant et assurément éprouvant.

Au fait, Isolde ou « la femme triste », comme a choisi de la faire appeler Tiego Rodrigues ? Le metteur en scène opte ainsi pour une forme d’anonymat pour désigner les personnages. Tristan devient « l’homme triste » ; le roi Mark, « l’homme puissant » ; Brangäge, la suivante d’Isolde, « l’amie de la femme triste », etc. On s’interroge sur cette décision qui frise la coquetterie.  Y trouve-t-on une justification dans le magnifique duo du deuxième acte. L’homme et la femme « tristes » y chantent d’être éternellement unis dans la mort, « sans crainte, oubliant nos noms » (« namenlos ») ?

Autre curiosité, la description (très succincte) de l’action sur des cartons  manipulés sur scène par une danseuse et un danseur. Au prétexte que le poème de Wagner contient « beaucoup de mots ». Au-delà d’un humour douteux, on le prend comme un choix pavé de bonnes intentions. Elles s’adressent à un public réputé ignorer la langue allemande et répugner à la lecture de longs sous-titres.

Admettons. L’évolution des « traducteurs » n’échappe pas au risque de parasiter l’attention. Pour revenir au duo du deuxième acte, la succession des cartons tenait de la roue à aubes tournant au-dessus de Dorothea Roschmann et de Samuel Sakker. De même, au troisième et dernier acte, le stakhanovisme du danseur à faire passer les cartons apparaît incongru à l’égard du monologue de l’ami et compagnon d’un Tristan à l’agonie.

Les textes affichés rendent l’intrigue abstraite. Les personnages, le plus souvent statiques, dans des tenues où domine le gris magasinier, perdent en incarnation.

Pourtant. On retient un décor superbe de bibliothèque, magnifié par des jeux de lumière pertinents. Au dernier acte, dépourvue de ses ouvrages, elle fait figure symbolique de squelette, auprès duquel l’amoncellement de cartons est comme le condensé des vies des deux héros. Et puis, et surtout, il y a l’interprétation, d’une qualité sans faille. Elle passe par-dessus les réserves évoquées plus haut. Elle sauve cette production.

On a cité Dorothéa Roschmann. Son partenaire, Samuel Sakker est remarquable d’intensité dramatique, dans le rôle de « l’homme triste », de Tristan, tout simplement. On salue aussi la magnifique mezzo Auxe Extrémo (Brangäne) et l’impressionnante voix de basse de Jongmin Parl dans le rôle du roi Mark. Et l’orchestre ! Formidable dans ses attaques, ses nuances, élans tragiques, à vous embuer les yeux.

 

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Représentations données le vendredi 31 mars et le dimanche 2 avril 2023, au théâtre de Caen.

 

 

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