« Il Diluvio Universale », en avant arche…

Une heure trente de bonheur musical ! Avec sa Cappella Mediterranea et le Chœur de chambre de Namur, Leonardo García Alarcón a fait découvrir au public caennais une pépite de l’art baroque italien. « Il Diluvio Universale » est un oratorio de Michelangelo Falvetti (1642-1692). L’œuvre, saisissante à souhait, relate l’épisode biblique du déluge. La direction enthousiaste du chef argentin galvanise des interprètes formidables, tant dans l’orchestre que chez les chanteuses et chanteurs.

Le passage de l’Ancien Testament contant l’histoire du déluge avait inspiré Carissimi avec son « Diluvium Universale ». Son contemporain Michelangelo Falvetti _ il était de trente-sept ans son cadet _ a mis également ce drame en musique. Son œuvre est restée plus de trois cents ans dans l’oubli. Leonardo García Alarcón a eu la partition en main grâce à un ténor italien, Vincenzo Di Betta, un jour de 2002 à Palerme, ville où le compositeur avait été maître de chapelle.

Ce thème du déluge se retrouve bien avant la Bible dans des mythes mésopotamiens, en référence à des débordements de l’Euphrate et du Tigre. Aujourd’hui, il trouve singulièrement écho avec le dérèglement climatique. Mais, on ne peut guère compter sur une intervention divine pour cadrer la feuille de route de la Cop 28.

Les quatre éléments

En arrivant à une conclusion heureuse du Dieu réconciliateur, le livret de Vicenzo Giattini s’appuie, lui, sur le texte sacré. Mais avant, le Tout Puissant a manifesté sa vive déception du comportement des humains, au point de vouloir les balayer de la terre. Une purification éthique en quelque sorte. Porte-voix de la Justice divine, la contre alto Anthea Pichanick s’en fait la messagère tonitruante.  L’orchestre en reste coi.

Il reprend ses esprits pour accompagner la convocation des quatre éléments (l’air, le feu, l’eau et la terre), pressentis pour la redoutable mission. Chacun y va de son zèle. C’est l’eau qui remporte la mise. Elle obéit aux ordres et annonce forces pluies torrentielles, orages et vagues submersibles. La soprano britannique Rachel Redmond ajoute à son timbre clair à la fulgurance stratosphérique un sourire de devoir accompli.

Musique orchestrale et chant à cinq voix se fondent dans un luxe d’expressivité impressionnant. Ça chauffe pour les terriens, enfin façon de parler. Seuls Noé et sa femme Rad leurs enfants _ les animaux ne sont pas évoqués _ vont échapper au déluge, réfugiés dans la fameuse arche. Dans un duo magnifique de tendresse, la jeune femme, incarnée par Ana Quintans fait part de ses craintes avec son mari (le ténor Valerio Contaldo), qui la rassure.

On avait pu voir la soprano portugaise, il y a quatre ans, sur cette scène, dans le rôle-titre de « Coronis » (encore une histoire d’eau).  Ici, il n’est pas question de fantaisie, mais une piété à la douceur d’autant plus touchante. Et le contraste est frappant quand l’irréversible se produit, annoncé par quelques gouttes de harpe. Les mots et sonorités se délitent figurant la montée asphyxiante des eaux.

Arc en ciel

Le violoncelle de Karolina Ptywaczewska lance premières notes hésitantes d’un souffle de vie, celui des rescapés. De l’autre côté la Mort se réjouit du spectacle. Encapuchonné de noir, visage blanchi, faux à la main, le contreténor polonais Kasper Sz̧elaz̧ek excelle dans ce rôle, avec des mimiques à la Robert Hirsch. Accompagné par l’orchestre sur un air de tarentelle, aussi guilleret qu’inattendu, il danse toute sa joie !

On sait la suite, la sévérité divine, exprimée par la voix grave de Matteo Belloto va se retourner. Dieu transforme son arc armé en arc en ciel de paix. En protégeant Noé et sa famille, il sauve in extremis l’humanité. Avant le madrigal de fin, cet arc en ciel est magnifiquement fêté par le trio des trois sopranos, Ana Quintans, Rachel Redmond et dans le rôle de la Nature humaine, Ana Vieira Leite, récente lauréate du Jardin des Voix.

Cet air repris par le chœur est bissé à la fin du concert dans un climat euphorisant sous l’impulsion de Leonardo García Alarcón, formidable chef. La harpiste Marina Bonetti n’est pas la dernière à se joindre au chant. Symbole de l’investissement total Cappella Mediterranea, dont on apprécie la finesse des cordes, pincées ou frottées, la puissance envoûtante du pupitre des vents. Et puis, il y a cet apport original et séduisant du percussionniste de tradition iranienne (tiens, on se rapproche de la Mésopotamie), Keyvan Chemirani. De ses doigts virtuoses et paumes, il obtient des résonances surprenantes de ses tambourins et… poterie.

_________________________________

 

Concert donné le dimanche 3 décembre 2023, au théâtre de Caen.

 

 

 

Laisser un commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.