« Le Miroir de Jésus », la spiritualité de Caplet

André Caplet (1878-1925) fait partie de ces compositeurs représentatifs de l’essor de la musique française à la charnière du XIXe et du XXe siècle. Ce musicien doué, précocement reconnu par ses pairs, reste encore assez peu joué, y compris dans sa région natale _ il est originaire du Havre. L’Orchestre régional de Normandie comble cet oubli relatif avec le chef d’œuvre, quasi testamentaire, de Caplet, « Le Miroir de Jésus ». L’église Notre Dame de la Gloriette, à Caen, en a offert un cadre propre à une écoute instantanément captée.

2025 marquera le centenaire de la mort d’André Caplet. Les conséquences de la Grande Guerre, où il avait été gazé, avaient eu raison d’une santé fragilisée. Le compositeur avait 47 ans, laissant une œuvre à redécouvrir. Sans attendre 2025, l’Orchestre régional de Normandie retient une des compositions majeures  de celui qui fut quelques années directeur musical de l’Opéra de Boston, aux États-Unis.

« Le Miroir de Jésus » est un œuvre  pour quintet à cordes, harpe et chœur féminin. Ce type de pièce musicale correspond à une formation comme l’Orchestre régional de Normandie, moins porté à jouer les supplémentaires d’un symphonique qu’à développer un répertoire plus intimiste. À son interprétation est associé à l’excellent groupe vocal De Caelis, conduit par Laurence Brisset. La mezzo Albane Carrère en assure la partie soliste.

Le concert est dirigé par Léo Warinsky. Il y a un an, presque jour pour jour, ce jeune chef formé par François-Xavier Roth, retrouvait les musiciens de l’ORN avec son ensemble vocal, Les Métaboles, pour un hommage à Camille Saint-Saens, 2021 marquant le centenaire de la disparition du compositeur. On ne s’étonne pas d’une entente palpable de part et d’autre du pupitre.

« Le Miroir de Jésus » s’appuie sur quinze poèmes d’Henri Ghéon. Ils évoquent la vie de Jésus, vue par sa mère la Vierge Marie. Elle en est le reflet, le miroir. L’œuvre prend la forme d’un triptyque. « Miroir de joie », « Miroir de peine » et « Miroir de gloire » se succèdent, qui vont de la naissance et la présentation au temple à l’apothéose du couronnement au ciel, en passant par l’épisode douloureux de la Passion.

Un prélude instrumental introduit chaque partie, dont le titre est annoncé vocalement. Chacune de ces introductions déploie une atmosphère différente, majestueuse, dramatique, jubilatoire. Ce n’est pas faire injure à André Caplet que d’y ressentir une musicalité cousine de celle de Debussy. Une profonde amitié liait les deux hommes et Caplet a orchestré des mélodies du compositeur de « Pelléas et Mélisande ».

Toutefois, l’œuvre de Caplet se double d’une dimension mystique. L’homme était profondément croyant. Quand il compose sur l’écriture de Ghéon, il se sait prématurément au soir de sa vie. Le souvenir de l’affreuse guerre et de toutes ces mères qui pleurent leurs fils affleure au fil de l’œuvre. Loin de tomber dans un dolorisme, la partition de Caplet est portée par une austérité sereine, une confiance en une foi chrétienne réconciliatrice.

Musicalement, le jeu entre cordes et voix est saisissant d’émotion. Il offre un écrin au récit chanté par Albane Carrère, « Notre Dame » toute de blanc vêtue. Son interprétation a la douceur d’une veillée, par son timbre à la fois franc et élégant.

Le décorum baroque de La Gloriette, expression d’un catholicisme didactique, à l’iconographie exubérante ne correspond pas vraiment à l’esprit grégorien que revêt en partie « Le Miroir de Jésus ». On y trouve toutefois un chemin de convergence dans les voix séraphiques de De Caelis, avec échos en ricochet ou dans les effets de cloches à la volée provoqués par la harpe. Du grand art assurément, dont la soliste, les musiciens et choristes se sont fait les serviteurs inspirés.

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Concert donné le jeudi 20 octobre, à Notre-Dame de la Gloriette, à Caen

 

 

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