« Route 68 » et l’indicateur des partitions

Quinzième étape de l’intégrale des quatuors de Joseph Haydn, les Cambini-Paris poursuivent leur « Route 68 » dans les foyers du théâtre de Caen. Comme à l’habitude, l’audition de trois opus est agrémentée d’un thème. Cette fois, avec  pour titre « Du graveur au musicien », il s’agit des partitions. Entre l’intention du compositeur et la pression de l’éditeur, il peut y avoir des différences du manuscrit à la publication. C’est le rôle de la musicologie d’arriver à proposer un document qualifié « d’historiquement informé ». Julien Dubruque est responsable éditorial au Centre de musique baroque de Versailles. Il était l’invité de cette nouvelle session.

 

 

Il a suffi que l’imprimeur figure l’astre solaire en illustration du livret des six opus 20 de Joseph Haydn pour que l’on parle des « quatuors du soleil ». Qualification aisée, mais qui ne correspond pas tout à fait à l’atmosphère de ces œuvres. On est plutôt en cette année 1772 dans la période « Sturm und Drang » (Tempête et passion), caractéristique du pré-romantisme.

Pièce charnière, le n°6 de cet Opus 20 consolide les bases d’un genre, le quatuor, dont la paternité revient à Haydn. L’interprétation des Cambini _ Julien Chauvin et Karine Crocquenoy, violons, Pierre-Éric Nimylowycz, alto et Atsushi Sakaï, violoncelle _ est sans effets contrastés, conforme ainsi à l’indication « sotto voce » (à mi-voix). « Semper » (toujours), précise le premier violon à la question de Clément Lebrun, l’animateur de ces soirées Haydn.

« Semper », pour justifier un final sur le même ton, alors même que la tentation peut être d’accentuer les coups d’archet dans les dernières mesures. L’attention du public se trouve alors aiguillonnée et plus prompte… à applaudir. Respect du texte, des annotations. Pas si simple. C’est là que peut intervenir la musicologie. Elle vise à proposer des partitions frottées aux sources les plus proches de l’original. Ce qu’on appelle des éditions « Urtexte ».

Claveciniste, helléniste, latiniste, spécialiste de Rameau, la… liste est longue des compétences de Julien Dubruque, qui cumule enseignement et responsabilité éditoriale au Centre de musique baroque de Versailles. Alliant bonhomie et humour, le musicologue explique, photos de partitions à l’appui, le travail de recherches que nécessite la période musicale des XVIIe, XVIIIe siècles.

Il prend l’exemple de la pastorale héroïque de Destouches « Issé ». On lui connait huit versions. La première connue (1708) n’est pas nécessairement la plus fiable. Le compositeur livre l’essentiel de la mélodie. Il laisse aux autres le soin de l’orchestration. Les autres, ce sont les musiciens eux-mêmes, qui, pour la plupart ont un bagage technique et culturel hors pair.

Une partition peut ainsi évoluer. Si c’est de la main même du compositeur, et reconnu comme tel, ça va. Sinon, jusqu’où ne pas aller trop loin ? C’est tout l’enjeu du travail critique, qui doit argumenter ses choix. Il ya aussi à considérer l’action des éditeurs eux-mêmes, qui opèrent certains changements au nom d’un goût du jour ou d’une note qui leur paraît inappropriée.

Un exemple est fourni dans une phrase du quatuor Opus 50, n° 5 (1787), dit « Le Rêve » au programme de ce concert. À la lumière d’un manuscrit découvert il y a une quarantaine d’années, un ré bémol a été substitué à un ré bécarre (ou l’inverse ?). On entend  un changement de ton, qui n’est pas du fait du compositeur. Sans compter des erreurs possibles des copistes, dont, à la longue, on peut reconnaître la « patte ».  113 ont ainsi été identifiés, rien qu’à l’Opéra de Paris.

Cet échange éclairant est suivi par l’interprétation du troisième et dernier quatuor de la soirée, l’Opus 64 n°2 en si mineur. Il fait partie d’un ensemble écrit en 1790 et destiné au violoniste Johann Tost. On y apprécie notamment le lyrisme de l’Adagio, avec l’intervention d’un violoncelle qui semble mener la danse…

Le quatuor Cambini-Paris reprendra sa « Route 68 », en novembre prochain, toujour au théâtre de Caen, avec un invité de choix, Marc Vignal, LE spécialiste de Joseph Haydn.

 

Concert donné le mercredi 11 mai 2022, au théâtre de Caen.

 

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