Franck et Les Siècles : Ave César

Après Camille Saint-Saens, dont 2021 marquait le centenaire de la disparition, un autre compositeur est mis à l’honneur cette année, César Franck, dont on célèbre le bicentenaire de la naissance (1822-1890). Cela mérite bien un salut. Du musicien franco-belge, on retient surtout son œuvre pour orgue et son quintette. C’est oublier de magnifiques pages orchestrales et concertantes. François-Xavier Roth et sa formation  Les Siècles entreprennent de les faire redécouvrir en compagnie du merveilleux pianiste Bertrand Chamayou. La Symphonie en ré reste la pièce la plus jouée de César Franck. Unique aussi dans sa production, elle complétait le programme de ce concert accueilli au théâtre de Caen.

François-Xavier Roth a le don de susciter d’emblée la sympathie. On a à cœur de ne pas le contrarier quand il demande au public d’éviter toute toux ou autre manifestation intempestive. Le concert qu’il dirige ce soir-là au théâtre de Caen est enregistré dans la perspective d’un disque (1). La discipline des auditeurs n’aura certainement perturbé le travail des ingénieurs du son.

La qualité d’exécution n’y est pas étrangère, faisant valoir une musique captivante tirée d’un répertoire comme toute peu connu. César Franck est perméable aux productions d’outre-Rhin, mais il en tire une inspiration très personnelle qui en fait un des chefs de file du romantisme français. On ajoute que comme professeur au conservatoire de Paris, il marque toute une école de musique, dont les représentants sont Ernest Chausson, Vincent d’Indy, Guy Ropartz, Louis Vierne…

Ce qui frappe chez César Franck, c’est un usage introductif, notamment, des cuivres et des timbales, une ligne de basses constante, un éventail très élaboré de nuances exigeant une attention constante des cordes, un sens toujours surprenant des ruptures.  Ses compositions fort  élaborées sont d’une puissance évocatrice saisissante. Aurait-il connu le cinéma, qu’on l’imagine écrivant des musiques de film.

Ainsi du « Chasseur maudit », poème symphonique inspiré d’une œuvre de l’écrivain allemand, Gottfried August Bürger et représentatif du mouvement « Sturm und Drang » (Tempête et passion). Le thème en est significatif. Il traite de la malédiction qui frappe un chasseur pour avoir enfreint le repos dominical. La conclusion est pleine d’inquiétude. Mais s’insinuent en mémoire les passages « pas de loup » qui charment l’oreille, tant aussi les gestes et l’attitude caressants de François-Xavier Roth harmonisent l’œil et l’ouïe.

Le poème « Les Éolides », composé six ans plus tôt, en 1866 d’après le poète parnassien Charles-Marie Leconte de Lisle, touche par sa veine naturelle colorée et sensuelle. Admirateur de Victor Hugo, César Franck tire des « Orientales » « Les Djinns », un autre poème musical, concertant celui-là avec l’apport d’un piano. Sur un Pleyel d’époque, Bertrand Chamayou évolue sur le clavier avec souplesse et clarté.

On a déjà pu apprécier le talent du pianiste toulousain à travers divers concerts du Festival de Pâques de Deauville, dont il est l’un des fidèles. Son enregistrement des œuvres pour piano de Maurice Ravel, il y a six ans déjà, fait référence. Posture sobre, loin de toute ostentation, son jeu permet une attention constante à la musique, y compris dans les phrases les plus virtuoses qu’il exécute avec élégance.

On le retrouve dans « Les Variations symphoniques » pour orchestre et piano, créées un an plus tard en 1885. L’interprétation des « Djinns » par le pianiste Louis Diémer avait tellement plu à César Franck, que le compositeur écrivit pour lui ces « Variations ». Quelque 140 ans plus tard, on  se plaît à imaginer que l’auteur aurait apprécié le travail des Siècles et du soliste. À l’image de l’ovation du public. Bertrand Chamayou y répond par un « bis », en l’occurrence, une courte mélodie _ rare par sa brièveté dans l’abondant corpus pianistique de Franck _ qu’il a découverte tout récemment. C’est pourquoi, là,  la partition reste sous ses yeux. Et c’est un sans faute… Évidemment, a-t’on envie d’ajouter.

Le mode cyclique marque la signature de César Franck. Repérable dans « Les Djinns », le procédé s’épanouit dans sa « Symphonie » en ré mineur. Les spécialistes la situent comme un jalon dans l’histoire de cette forme relancée par Georges Bizet et Camille Saint-Saëns. À l’instar quelques années plus tard d’Ernest Chausson et de Paul Dukas, César Franck ne laisse qu’une seule symphonie. Il est au soir de sa vie et l’œuvre fait preuve d’une longue maturation.

Boudée à sa création  _ on lui reproche une certaine robustesse germanique de mauvais aloi, vingt ans après l’amère défaite de Sedan _, sa notoriété va vite dépasser les frontières franco-françaises. Aujourd’hui, on n’entend plus de la même manière cette confluence rhénane et séquanienne, si on ose cette image. Le troisième et dernier mouvement de cette œuvre ébouriffante, selon le mot de Debussy, reste le plus célèbre, puissant et subtil dans la reprise des thèmes. Sous la conduite de François-Xavier Roth, les musiciens des Siècles en font  une lecture absolument convaincante.

L’accueil chaleureux du public invite à un bis. François-Xavier Roth le transforme en un hommage aux Caennais et à son théâtre. Cela fait vingt ans qu’il  a mis les pieds à Caen, comme chef-adjoint de l’Orchestre du conservatoire, pour assurer ensuite la direction de « Pelléas et Mélisande » de Claude Debussy. C’était le départ d’une carrière extraordinaire qui se déploie aujourd’hui entre Cologne, Londres, Paris. Avec toujours un œil sur le théâtre de Caen qui accueille régulièrement Les Siècles.

Concert donné le jeudi 9 juin 2022, au théâtre de Caen.

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(1) Le CD à venir ne prévoit pour l’instant que les œuvres instrumentales de ce concert. La date de sortie n’est pas encore fixée. Ce sera après celle de la 4e Symphonie de Gustav Mahler qui a fait, elle aussi, l’objet d’un enregistrement par Les Siècles.

 

 

 

 

 

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