« Cupid and death », le masque et la flèche

Il y a quelque ironie à présenter un « mask » _ lointain ancêtre anglais du music-hall _ devant des spectateurs masqués. Mais au moins, le public du théâtre de C aen a-t-il retrouvé le chemin des fauteuils pour cette découverte qu’offre « Cupid and Death ». On la doit à l’infatigable explorateur des répertoires qu’est Sébastien Daucé, avec son ensemble Correspondances. Comme pour « Songs », il y a trois ans, c’est dans l’Angleterre du XVIIe siècle qu’il a déniché cette pépite que l’on doit aux compositeurs Christopher Gibbons et Matthew Locke sur un texte de James Shirley. La complicité d’Emily Wilson et de Jos Houben, à la mise en scène, ajoute à ce « mask » un souffle de folie douce.

Cupidon se trompe de flèche et les ennuis commencent… (Photo Alban Van Vassenhove)

Attention au faux-ami. « Cupid » n’a rien à voir avec la cupidité. C’est, en anglais dans le texte, Cupidon, le dieu dont les flèches sont normalement destinées aux amoureux. Normalement, car dans une fable d’Ésope, dont s’est inspiré James Shirley (1896-1666), on assiste à un dérèglement mythologique qui chamboule complètement Dame Nature.

Qu’on en juge. Cupidon et la Mort logent dans la même auberge. Et il se trouve que par la négligence de leurs équipages leurs flèches ont été échangées. Les jeunes amants se mettent à mourir ; les vieillards là sortis d’un tableau de Pieter Bruegel dansent et tombent amoureux ; les ennemis se réconcilient. Bref, ça ne tourne plus rond.

Sur cette trame, Shirley a écrit un masque, spécialité engliche qui associe musique, danse, théâtre et chant. Son « Cupid and Death », sur les compositions musicales de Christopher Gibbons (1615-1676) et de Matthew Locke (1621?-1677), fait exception à double titre

Alors qu’il impose la fermeture des théâtres, l’austère Oliver Cromwell commande une œuvre en l’honneur de l’ambassadeur du Portugal venu signer un accord commercial. Ainsi, naît « Cupid and Death », dont la tonalité détonne malgré tout avec l’état d’esprit du commanditaire. La diplomatie a ses petits arrangements. On est en 1653. Le « lord-protecteur » est au sommet d’un pouvoir peu populaire. Sa république ne lui survivra pas.

L’autre exception est que l’œuvre est parvenue intégralement jusqu’à nos jours. De quoi piquer la curiosité et l’enthousiasme de Sébastien Daucé, auquel Patrick Foll, directeur du théâtre de Caen, a fait rencontrer Emily Wilson er Jos Houbens. Entre la Californienne, qui a travaillé avec Peter Brook et l’artiste belge formé au mime, il y a une connivence de gestes. Le couple s’est saisi de l’œuvre avec gourmandise.

Jos Houbens n’est pas un inconnu de la scène caennaise. Son « Art du rire » et son « Citizen Jobs » demeurent tout un programme d’humour et d’ironie. Après ces périodes de confinement, c’est un courant d’air salutaire qu’il fait passer dans le spectacle. Tout est ouvert, tout est à vue dans l’évolution des artistes et des techniciens.

Les costumes disparates paraissent sortis de malles de grenier ; les décors faits de bric et de broc, planches et cartons. On se sent proche du théâtre de tréteaux et dans les déplacements et dans les liaisons entre scènes annoncées par des panonceaux. Fiamma Bennett, la bilingue, et l’élastique Soufiane Guerraoui sont comme les maîtres de cérémonie de ce bazar sympathique.

L’origine du spectacle vaut quelques leçons de prononciation introduites par le phrasé tonitruant de Nicholas Merryweather. Le spectateur n’y échappe pas invité à répéter un « there » garanti Oxford. Le « ze », langue entre les incisives, se perd dans les plis du masque obligé.

Cartons et bouts de ficelle participent du décor. 

(Photo Alban Van Vassenhove).

De péripéties en péripéties, le petit groupe de musiciens autour de Sébastien Daucé tisse les liens entre théâtre et danse et sert d’écrin aux passages chantés. Le quintette de voix, formé par les sopranos Perrine de Devillers et Liselot De Wilde, le ténor Antonin Rondepierre, la mezzo Lucile Richardot et le baryton-basse Yannis François, offre un nuancier subtil.

La conclusion qu’apportent ces deux derniers est un régal d’interprétation. Lucile Richardot dont on connaît le tempérament dans toutes les aventures de Correspondances, incarne une Dame Nature tourneboulée par les événements. Et si elle fait monter la température, l’intervention céleste de Mercure, portée par la voix puissante de Yannis François, remet les choses en ordre. Cupidon et la Mort subissent les remontrances du dieu des voyages, qui expédie, en résidence permanente dans le paradis, les amants assassinés, où les rejoint la Nature. Suivez la (bonne) flèche…

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« Cupid and Death », représentations données, les mercredi 10, vendredi 12 et samedi 13 novembre au théâtre de Caen. Le spectacle part en tournée à partir du jeudi 18 novembre, à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet, Paris ; au Théâtre Impérial de Compiègne ; à l’Opéra de Rouen Normandie ; à l’Opéra de Massy ; au Centre d’art et de culture de Meudon ; à l’Atelier lyrique de Tourcoing ; à l’Opéra Royal de Versailles ; au Théâtre Élisabéthain du château d’Hardelot ; au MA Festival de Bruges ; et la saison prochaine à l’Opéra de Rennes.

 

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