Un Dandin dindon, oui et non…

Du répertoire de Molière « Georges Dandin ou le mari confondu » est un titre connu. Mais personne, aujourd’hui, ne peut prétendre avoir vu cette pièce dans sa forme originelle de comédie-ballet avec la musique de Lully. C’est le défi fou relevé par Michel Fau, qui signe la mise en scène et tient le rôle-titre de cette farce grinçante. Elle est servie par une distribution de qualité tant dans le jeu des comédiennes et comédiens que dans l’interprétation musicale de l’Ensemble Marguerite Louise. Molière avait ouvert la saison 2021-2022 du théâtre de Caen avec « Le Bourgeois Gentilhomme » de Jérôme Deschamps. Il la clôture, ou presque, de belle façon dans un décor royal et versaillais, baroque à souhait, et des costumes à l’avenant signés Christian Lacroix.

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« Le Voyage de Gulliver », preuve par l’œuf

 

Du « Voyage de Gulliver », le célèbre conte de Jonathan Swift (1726), Valérie Lesort et Christian Hecq tirent une adaptation inventive et pleine de fantaisie. Le message n’en est pas pour autant édulcoré qui dénonce l’absurdité de la guerre, la déraison de ses motifs et, au bout du compte, la soif du pouvoir. L’actualité lui donne une singulière résonnance sous le masque du rire. C’est au théâtre de Caen, jusqu’à dimanche.

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Un capital, des capitaux

Ballet chanté ou cantate dansée _  au choix _, « Les Sept Péchés capitaux » est l’ultime œuvre associant Bertold Brecht et Kurt Weill. Ce texte d’exil, écrit l’année sombre de l’accession d’Hitler au pouvoir, dénonce les dérives d’un capitalisme débridé et d’une religion aveuglée par l’hypocrisie. Le metteur en scène Jacques Osinski et Benjamin Lévy à la tête de l’Orchestre régional de Normandie réveillent ce livret aussi bref que caustique et sa partition joyeusement persifleuse.

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« La seconde surprise », amour, amitié…

Comédie de Marivaux, « La Seconde Surprise de l’amour » fait partie de ces bijoux d’écriture s’infiltrant dans le labyrinthe des sentiments. Elle implique une expression subtile. Remarquable directeur d’actrices et d’acteurs, Alain Françon confirme. L’ancien patron de La Colline réunit dans la nouvelle production de sa compagnie, le Théâtre des nuages de neige,  une équipe d’interprètes plus que convaincante. C’est au théâtre de Caen, jusqu’à samedi.

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« Le conte des contes » : l’antidote

Pour fêter ses trente ans, le Théâtre Malandro d’Omar Porras a sorti le grand jeu. Son adaptation de « Lo Cunto de li cunti », connu aussi sous le nom du « Pentamerone », entraîne dans un tourbillon de drôlerie et de frissons. Cette compilation de légendes, fables et historiettes réunies par Giambattista Basile est parue au début du XVIIe siècle napolitain. Elle inspirera Charles Perrault, les frères Grimm et bien d’autres. À leur suite, Omar Porras s’y inscrit dans une lignée théâtrale anti-morosité pleinement réussie. C’était au théâtre de Caen.

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Un « Bourgeois » … de qualité

Tout vient à point… Elle était attendue au théâtre de Caen, cette production du « Bourgeois Gentilhomme » par la Compagnie Jérôme Deschamps et les Musiciens du Louvre. Cette version, en intégrale, de la comédie-ballet de Molière-Lully avait dû être remise à trois reprises pour cause de Covid 19… Cette fois, c’est le virus du rire qui s’est répandu sous les masques _ encore obligatoire en plus du passe sanitaire. Une vraie cure d’enjouement conduite Jérôme Deschamps incarnant un Monsieur Jourdain tout à la fois désopilant et pathétique.

« Le Bourgeois Genilhomme », en version complète conduite par Jérôme Deschamps, a offert une ouverture de saison 2021-2022 hilarante au théâtre de Caen. (Photo Marie Clauzade).

 

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« Vivian: clicks and pics », en quête de révélateur

A  l’heure de l’image numérique, le compositeur Benjamin Dupé propose un hommage original à la photographe Vivian Maier. « Vivian : clicks and pics », un opéra de chambre (noire), explore l’étrange démarche de cette nurse américaine qui a laissé des milliers de négatifs sans avoir opéré le moindre tirage. Par la voix de la soprano Léa Trommenslager et le piano de Caroline Cren, la musique de Benjamin Dupé sur un texte de Guillaume Poix, interroge le destin insolite d’une œuvre désintéressée devenue un business.

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« Tarquin », mise à nu d’un fantôme

La compagnie La vie brève se singularise par des spectacles originaux où mots et notes de musique s’enchevêtrent subtilement. Avec « Tarquin », elle fait pénétrer dans ces zones troubles où le mal s’accommode de l’esthétique artistique. Bourreau et mélomane ne forment pas nécessairement un oxymore. « Tarquin », en référence au despote, dernier roi de Rome, entraîne dans l’Amérique du Sud, où des Nazis ont trouvé refuge. Sans la nommer, la personnalité du sinistre criminel Josef Mengele plane sur ce spectacle, où le burlesque agit comme une soupape.

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L’adieu à Venise de Goldoni

De Carlo Goldoni (1707-1793), on connaît surtout « Les Rustres » ou « La Villégiature ». Beaucoup moins « Une des dernières soirées de Carnaval » (1762) que sort pertinemment de l’oubli le metteur en scène Clément Hervieu-Léger. La pièce marque une étape fondamentale dans la carrière du dramaturge en rivalité avec le comte Gozzi sur la scène vénitienne. Il se résout à rejoindre Paris, où son théâtre sera, espère-t-il, mieux compris. Son public ne l’a pas suivi, lorsque, abandonnant le style de la Commedia dell’arte, il a orienté le genre de la comédie vers une ligne plus réaliste, plus satirique. « Une des dernières soirées » est comme un adieu en forme de manifeste.

©Brigitte Enguerand

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« Un ennemi du peuple »: l’épreuve de vérité

En partenariat avec les Boréales de Normandie, le théâtre de Caen accueille jusqu’à ce soir « Un ennemi du peuple », la pièce d’Henrik Ibsen dans une mise en scène de Jean-François Sivadier. L’œuvre du dramaturge norvégien prend un éclairage nouveau au regard d’un monde en proie à l’urgence écologique, à la crise des représentativités, aux émotions incontrôlées. Autour d’un Nicolas Bouchaud essoré et essorant, toute une troupe épatante transforme sans ménagement cette tragédie en une farce grinçante.

Peter Stockmann (Vincent Guédon) et son frère Tomas (Nicolas Bouchaud): tout sépare le préfet et le médecin. (Photo Jean-Louis Fernandez)
Peter Stockmann (Vincent Guédon) et son frère Tomas (Nicolas Bouchaud): tout sépare le préfet et le médecin. (Photo Jean-Louis Fernandez).

« Un homme fort, c’est… » On n’a pas la réponse, la chute d’une poche d’eau suivie d’un noir complet laisse chacun dans l’expectative. Avec Sivadier, dont le théâtre de Caen, a reçu plusieurs mises en scène, le final d’« Un ennemi du peuple » a la force d’un couperet. Qui menace « celui qui dit la vérité », comme le chante Guy Béart.

De retour dans sa ville natale, le médecin Tomas Stockmann en fait une station thermale, promesse de prospérité pour la cité. Seulement, les eaux se révèlent contaminées par des bactéries. Le praticien veut en informer la population. Houstad, le rédacteur en chef du « Messager du Peuple » est prêt à publier les analyses.

Tomas Stockmann croit en la vertu de l’information. Pour lui, il ne fait pas de doute que ses concitoyens lui en sauront gré. Il se heurte à son préfet de frère qui met en balance les risques ruineux qui menacent la ville : une contre publicité préjudiciable et des travaux trop lourds pour les finances locales. Peter Stockmann a tôt fait de retourner l’opinion, avec la complicité du journaliste et de l’imprimeur Aslaksen, représentant des petits propriétaires. Tous deux ont fait volte-face.

Peut-on avoir raison contre tout le monde ? Echaudé par ce renversement  de situation, qu’il était loin de deviner, Tomas Stockmann finit par s’en persuader. Mais, à l’image des eaux thermales, ses sentiments altruistes se font contaminer au fil d’une diatribe contre cette « majorité compacte », cette plèbe ignorante et moutonnière.

La mise en scène de Jean-François Sivadier se déploie sur tout l’espace qu’offre le plateau du théâtre de Caen. Un espace largement ouvert surmonté de deux grands lustres et qui déborde aussi sur la salle d’où peuvent surgir les protagonistes. Introduite par la musique associée au film « 2001: ‘Odyssée de l’espace », les premières mesures du poème symphonique de Richard Strauss « Ainsi parlait Zarathoustra »(1), soulignent )la phase favorable à Tomas Stockmann.

Mais la même œuvre interprétée avec des couacs et des canards _ délicieuse et redoutable spécialité d’orchestres anglais _ sent la catastrophe pour le médecin. Faute de salles municipales disponibles _ comme par hasard !_, il réussit à organiser une réunion dans un théâtre. Au sens figuré comme au sens propre, car le spectateur se trouve là associé. Parvenant à reprendre  de micro à ses opposants, Tomas Stockmann se lance dans cette harangue que ne veut pas entendre son auditoire et lui vaut d’être qualifié d’ « ennemi public ».

Le show de Bouchaud est époustouflant. On l’a vu pitre quand il se joue du pouvoir représenté par la casquette et la canne du préfet son frère. Cette fois, il incarne un Tomas Stockmann exalté, l’œil fiévreux, sûr de sa vérité et emporté dans flot de paroles où tout le monde en prend pour son grade. L’absence de courage, le conformisme sont ses cibles avec les risques de réversibilité, soupçonne-t-on. L’élite éclairée peut tourner au despote populiste.

Le texte brûlot d’Ibsen (1883) trouve des résonnances avec les lanceurs d’alerte d’aujourd’hui tout autant que les « fake news » de réseaux sociaux. Jean-François Sivadier lui donne aussi une actualité avec des passages de « La Violence : oui ou non » de l’essayiste Günther Anders, l’auteur de « L’Obsolescence de l’homme ». De même, il emprunte des citations de Michel Foucault dans les propos rapportés sur l’éducation par Petra Stockmann, fille de Tomas.

Jeanne Lepers joue avec tact et sobriété ce personnage de Petra. Elle et sa mère Katrine (excellente Nadia Vonderheyden) donnent aux rôles féminins  un contrepoids subtil au patriarcat dominant. Ils tranchent avec les attitudes à courte vue d’un Houstad, prompt à répondre aux désirs préfectoraux et à ne pas heurter son lectorat, ou d’un Aslaksen, dont la modération affichée confine à la couardise. Sharif Andoura et Eric Guérin rendent leurs personnages experts en retournement de veste, tandis Vincent Guédon donne à Peter Stockmann la dimension arrogante d’un préfet soucieux des intérêts de son cercle fortuné.

C’est bien une question d’argent qui se joue. La velléité révolutionnaire d’un Billing (Cyprien Colombo), qui soutient le médecin, s’efface derrière une demande d’emploi de greffier à la mairie. Il faut bien vivre. Tomas Stockmann lui-même espère bien assurer les arrières de son épouse avec la fortune de son beau-père. Le tanneur Morten Kill est une forte personnalité en bisbille avec les autorités locales. Perruque à la Trump, Cyril Bothorel est ce personnage colérique, dont Stockmann n’est pas au bout de ses (mauvaises) surprises.

Ce même Cyril Bothorel est aussi ce capitaine Horster, finalement le seul homme resté proche du médecin isolé, boudé par sa clientèle. C’est lui qui lui a trouvé ce théâtre pour la réunion publique. Dans la salle plongée dans le noir était simulé comme un itinéraire clandestin, guidé par la voix du comédien évoquant l’histoire du théâtre caennais. C’était avant l’essoreuse de ce monologue torrentiel, inscrit comme un des grands moments de cette production.

(1) Associée au film de Stanley Kubrick (1968), cette musique a également servi de générique à l’émission politique « A armes égales », qui a marqué l’histoire de la télévision en France. Créée par Michel Bassi, Alain Duhamel, André Campana et Jean-Pierre Alessandri, elle a été diffusée sur la première chaîne de l’ORTF de février 1970 à mars 1973.

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« Un ennemi du peuple », au théâtre de Caen, mardi 19, mercredi 20 et jeudi 21 novembre 2019.