« La seconde surprise », amour, amitié…

Comédie de Marivaux, « La Seconde Surprise de l’amour » fait partie de ces bijoux d’écriture s’infiltrant dans le labyrinthe des sentiments. Elle implique une expression subtile. Remarquable directeur d’actrices et d’acteurs, Alain Françon confirme. L’ancien patron de La Colline réunit dans la nouvelle production de sa compagnie, le Théâtre des nuages de neige,  une équipe d’interprètes plus que convaincante. C’est au théâtre de Caen, jusqu’à samedi.

Amour amitié… Ce n’est pas comme dans la chanson de Pierre Vassiliu, un océan qui sépare l’ami de l’amant. Mais pas loin. Ce qui réunit la Marquise et le Chevalier c’est le chagrin inconsolable, un deuil prématuré pour l’une, un renoncement obligé pour l’autre. Qui les réunit et les tient aussi à distance dans le souvenir de l’être perdu. On se trouve là dans une zone aimant(é)e où se disputent pôles positifs et négatifs.

On y perd sa boussole. Sauf que Lisette, au service de la Marquise, y met un peu de bon sens avec la complicité de Lubin, le valet du Chevalier. Servante et serviteur, ces deux-là s’aiment, tout simplement. Le message finira par passer ouvrant une évidence que les deux aristocrates se refusaient d’admettre au prix de conventions, de bienséance et d’orgueil.

La Marquise et le Chevalier sont voisins. Leur affliction est symétrique, comme le sont, au sens propre, les perrons de leurs maisons qui se font face. Sur le fond, un jardin comme sorti de l’école de Barbizon et au centre, un bassin rectangulaire qui focalise les échanges. Rien de significativement daté dans ce décor, pas plus que dans les costumes tout à la fois « tchékoviens » et contemporains.

 

Assez pour souligner la qualité universelle du propos de Marivaux, dont s’inspirera avec grand talent le cinéaste Éric Rohmer, deux siècles et demi plus tard. Car il y a cette prose qui passe les sentiments au scalpel, captivante de justesse et d’équilibre, ponctuée de savoureux imparfaits du subjonctif comme on n’en fait plus !

Pour la dire, Alain Françon s’appuie sur une distribution fort bien choisie. En marquise, Georgia Scalliet a cette touche très Comédie  Française, dont elle a été sociétaire pendant trois ans. Sous l’apparence d’une femme sûre de son rang et maîtresse d’elle-même, affleure la crise de nerfs. Georgia Scalliet excelle dans cette alternance des sentiments au gré des atermoiements d’un chevalier qui frise la neurasthénie.

Pierre-François Garel incarne avec naturel ce personnage, à deux doigts de jeter, contre sa propre inclination, la Marquise dans les bras du Comte. Portant beau, Alexandre Ruby campe ce dernier, avec juste ce qu’il faut de caractère benêt.

Comme toujours, les interventions des domestiques apportent tout leur sel dans ces plaies sentimentales et s’adaptent aux réactions. Bouille juvénile, les bras en mouvement, Suzanne de Baecque est parfaite de drôlerie et de dynamisme dans le rôle de Lisette. En Lubin, Thomas Blanchard lui donne la réplique sur le même registre.

Évincé de ce quatuor amoureux en devenir, le sort du philosophe Hortentius tient du dommage collatéral, que rejoindra celui du comte. Cheveux dressés en frisette, le verbe haut dès qu’on attaque Sénèque, Rodolphe Congé joue finement ce lettré (options latin-grec), dont les conseils restent lettre morte… L’amour est, lui, bien vivant.

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Au théâtre de Caen, depuis le mardi février et jusqu’au samedi 5 février 2022.

À 20 h, jeudi 3 et vendredi 4 ; à 18 h, samedi 5. Rens. 02 31 30 48 00.

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