« Nocturne », le chant lumineux de La Tempête

Il est des soirées rares et par l’originalité d’un programme et par la qualité d’une exécution. « Nocturne », le concert vocal donné par la compagnie La Tempête à Notre-Dame de la Gloriette, à Caen, appartient à celles-là. Simon-Pierre Bestion, fondateur et chef du chœur, a eu l’idée féconde d’alterner les « Vigiles nocturnes » de Sergueï Rachmaninov avec des chants liturgiques orthodoxes des premiers temps chrétiens. Cette association entraîne dans une plongée spirituelle saisissante. Elle est marquée par un déplacement quasi chorégraphique des choristes et un jeu de lumières simulant un temps, de la tombée de la nuit au lever du jour. Impressionnant.

L’installation d’une scène au cœur de la nef est un dispositif déjà éprouvé à la Gloriette. Il est particulièrement bien adapté pour le concert de La Tempête, dont le volume vocal _ 32 chanteuses et chanteurs _ s’y épanouit harmonieusement.  Pour ce « Nocturne », Simon-Pierre Bestion a imaginé un rituel inspiré des processions religieuses avec leurs haltes. Et plus encore avec des évolutions en cercles concentriques, des détachements de petits groupes issus du noyau central. Ainsi, du fond de l’église au chœur, en passant par les bas-côtés et le transept, le chant circule partout auprès des auditeurs.

Habillés de noir, à la main, leur cahier de chant doté chacun d’une petite lampe, les choristes avancent sur deux files. La voix d’Adrian Sîrbu, entonne un chant byzantin à la monodie caractéristique d’une tradition orale très ancienne. Son ampleur et le détachement des syllabes, qui confère comme un vibrato, fascinent d’emblée. Le chantre roumain est un spécialiste incontournable de la musique religieuse orthodoxe, qui, de la Grèce, a évolué vers les pays slaves au fur et à mesure de la progression du christianisme.

Ses interventions alternent avec les Vigiles nocturnes de Rachmaninov. Vingt pièces en tout, interprétés en slavon (la langue originelle du russe). Le compositeur a écrit ces Vigiles dans une sorte de fulgurance _ moins de deux semaines ! _. Elles témoignent de sa foi profonde et de l’attachement qu’il portait à ces mélodies remontant à la nuit des temps. La Révolution de 1917 a mis l’éteignoir sur cette œuvre majeure de la musique sacrée. Rachmaninov, décédé en 1943, n’a jamais dû pouvoir en entendre d’autre interprétation, depuis sa création, en 1915, à Moscou.

On ne peut que savoir gré à Simon-Pierre Bestion de faire partager l’émotion qu’il a ressentie à chanter ces Vigiles au sein d’un chœur. On reste imprégné par la majesté de cette symphonie vocale, dont les modulations répondent à une véritable orchestration, des basses abyssales aux voix célestes. Là aussi, on est frappé par cette façon d’isoler chaque syllabe _ de l’Alleluia, par exemple, qui conclut la plupart des Vigiles. L’installation de lumières dorées élaborée par Marianne Pelcerf réagit subtilement aux chants qui se succèdent. Presqu’ imperceptiblement, par des clignotements, des montées d’intensité, jusqu’à former au final une voûte rayonnante au-dessus des choristes.

De très longs applaudissements saluent ce concert. Deux bis, tout aussi magnifiques, ont permis une prolongation, que la ferveur de l’écoute aurait bien étiré encore…

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Concert donné le mercredi 24 janvier 2024, à Notre Dame de la Gloriette à Caen.

Ce programme a fait l’objet d’un enregistrement chez Alpha. Il a été chaudement recommandé par Emilie Munera et Rodolphe Bruneau-Boulmier à l’émission En Pistes sur France-Musique, en novembre 2022.

 

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