« Noetic », géométrie dans l’espace

Le théâtre de Caen a accueilli le Ballet du Grand Théâtre de Genève pour un double programme signé Sidi Larbi Cherkaoui. Le chorégraphe belgo-marocain est à la tête de cette belle troupe depuis deux ans bientôt. Il y a un contraste entre « Faun », un pas-de-deux inspiré de la musique de Debussy et « Noetic », pièce chorale créée pour la compagnie de l’Opéra de Göteborg (Suède). D’un côté, la mythologie ; de l’autre, une forme de futurisme. Une réalisation magnifique et aussi quelques réserves…

« Noetic »… atmosphérique. (Photo Grégory Batardon).

« Faun » est une création qui remonte à 2009. La pièce se réfère clairement au « Prélude à l’après midi d’un faune » de Claude Debussy et au ballet qu’en tira Vaslav Nijinski. Geoffroy Van Dick incarne cette figure mythique mi-humaine, mi-animale, sans masque, ni surcharge vestimentaire. Barbe et cheveux longs, il dégage par-delà ses étirements reptiliens une nature brute _ au sens primitif _ et sauvage.

L’intervention de la sylphide interprétée par Sara Shigenari donne lieu, sur fond forestier à un duo sensuel et fascinant d’une force onirique accentuée par la musique additionnelle de Nitin Sawhney. On assiste à un jeu d’attirance et d’éloignement, de moments séparés mais synchrones ou au contraire fusionnels. La qualité gestuelle des deux interprètes contribue à la perception pleine d’une dans éclair (à peine quinze minutes).

« Noatic » est un mot étrange dont il faut chercher la signification auprès de l’astronaute américain Edgar Dean Mitchell (1930-2016). Le sixième marcheur sur la lune (1971) s’est intéressé à la nature de la conscience, à l’intuition de la connaissance, domaines selon lui délaissés par la science objective. Au point de créer un Institut of Noetic Sciences, qui explore des questions comme la télépathie, la télékinésie, l’auto-guérison.

Sur le terrain de l’application, cela signifie que pensées et intentions affectent le monde physique. Et si l’on comprend bien les notes d’attention du chorégraphe, les danseuses et danseurs ont été encouragés à « faire émerger un subconscient commun et collectif ». Soit. Mais autant délaisser le discours pour se laisser emporter par cette chorégraphie symphonique en noir et blanc, orchestrée sur la musique envoûtante de Szymon Brzoska et introduite, en direct, par les percussions japonaises de Shogo Yoshii.

Sur un plateau délimité par des tracés de rectangles, la danse s’étire et se rétracte au fil de mouvements collectifs fluides, de soli, de passages au sol, avec des mouvements de bras d’angles et de cercles. C’est remarquablement interprété. La fin de première partie s’achève sur un tableau, type photo de famille branchée.

Mais, c’est curieux ce besoin qu’ont les chorégraphes de faire parler leurs danseurs et danseuses. On ne doute pas de leurs capacités à dire un texte, à faire des phrases, selon le mot de Michel Audiard. On s’interroge sur l’intérêt de faire entendre une parole totalement absconse. A moins d’y percevoir une certaine musicalité ou de l’humour dans cet amphigouri. Et on peut se demander si les théories de feu Edgar Dean Mitchell sont accueillies sans perplexité par la communauté scientifique.

Brisons là ! Au profit de la sensation exercée par les prises en main de lattes flexibles et se reliant entre elles. Les déplacements combinatoires des danseuses et danseurs font apparaître cerceaux, ressort mouvant, corolle, sphère, autant de formes géométriques dans l’espace. Ces accessoires imaginés par Anthony Gormley font la performance plastique se substituer à la danse, même si elle s’immisce par un solo ou un duo.

De « noetic » à « poetic », il n’y a qu’une lettre. Et si on note que l’acronyme de l’Institut of Noetic Sciences » forme le mot « ions », pourquoi ne pas voir dans le dessin des lattes la représentation du schéma d’un atome ? Son énergie s’éteint progressivement, quand les tournoiements des cerceaux, restés sur scène, cessent l’un après l’autre dans un bruit d’averse de grêle sur un toit de zinc.

 

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Spectacle donné au théâtre de Caen le samedi 27 et le dimanche 28 janvier 2024.

 

 

 

 

 

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