Quatuor Cambini-Paris, des fils et des cordes

L’excellent Quatuor Cambini-Paris poursuit sa route 68, celle qui conduit à interpréter l’intégralité des quatuors de Josef Haydn (1732-1809). Les foyers du théâtre de Caen accueillent depuis 2017 la formation menée par Julien Chauvin, à raison de trois concerts par saison. On en arrive à la huitième et, au terme de ce rendez-vous de janvier, à cinquante-cinq quatuors au compteur. Plus que treize à interpréter. Comme à chaque fois, est invité un (ou une) spécialiste dans un domaine qui apporte un éclairage sur l’époque du compositeur. Là, il a été question de tissus avec François Vieillard, rare tisserand artisanal en France.

L’atelier de François Vieillard se trouve dans le village de Vétheuil, près de Giverny, dans le Vexin. Le violoncelliste Atsushi Sakaï est presque son voisin. C’est tout naturellement que le membre du Quatuor Cambini-Paris a suggéré son pour qu’il vienne parler de son métier, en résonnance avec les pièces de Haydn.

Motif, relief, trame… Il existe des analogies de vocabulaire entre la description d’un tissu et celle d’une musique _ on pourrait en dire autant de la peinture. Mais, lorsque qu’on voit des schémas de tissage, on ne peut que les rapprocher de partitions avec leurs portées. Sans compter le cliquetis chuintant, métronomique du métier à tisser.

La passion de François Vieillard est née, jeune, du désir de percer le secret de tissus ouvragés que portait sa grand-mère. Sa formation d’électromécanicien lui a été bien utile pour appliquer ses recherches, à partir, notamment, d’un précis de tissage datant du XVIIIe siècle. Le tisserand avoue encore chercher la clé de tel ou tel conducteur.

Mais pour beaucoup, la technique ne lui fait plus mystère. Et il se compare à un chef d’orchestre, quand il choisit ses fils _ d’origine animale ou végétale uniquement _ et les organise. François Vieillard aime qualifier la différence de leurs douceurs. On y voit aussi un travail de composition, tant la mise en place de 1 800 à 3 500 fils, demande pas moins d’une semaine, avant de lancer la machine. Même si l’informatique, avec la conception de logiciels, permet de gagner du temps.

Si le principe de métier à tisser reste le même, la mécanisation a modifié son rendement. François Vieillard a trouvé un métier datant de 1956, fabriqué en Allemagne de l’Est, à Karl-Marx-Stadt, aujourd’hui Chemnitz, nom d’origine de la ville située en Saxe. La « bécane » est d’une fidélité à toute épreuve et sort, au mètre près, le tissu réalisé par entrecroisements combinatoires… Le public a pu en admirer des réalisations, avec un choix de vêtements, d’écharpes et de casquettes.

Et la musique ? Elle a été très présente évidemment. Comme toujours, le maître de séance de ce rendez-vous, le musicologue Clément Lebrun s’est attaché à introduire les quatuors au programme, pour ensuite se faire l’intervieweur de l’invité de ce soir. Il y avait quatre pièces au menu, offrant un large spectre de la production de Haydn

Cela partait d’un quatuor du début où le compositeur expérimente cette forme nouvelle. On est au début des années 1760 et on parle alors de « divertimento ». Et ensuite, s’inscrivent des œuvres représentatives des décennies suivantes. Se sont ainsi succédé l’Opus 1 n°6 en ut majeur ; l’Opus 17 n°5, en sol majeur ; l’Opus 33, en si mineur ; enfin, l’Opus 64, en ut majeur.

Tout un enchaînement, juste perturbé quand une corde du second violon s’est rompue, ce qui, le temps de la réparation a modifié l’ordonnancement entre les interventions de François Vieillard et le concert lui-même. L’oreille attentive à la musique aura perçu une évolution dans la répartition des rôles des instruments, la construction des thèmes. L’Opus 33, dit des quatuors russes, assoit ce genre musical, selon les mots mêmes de Haydn. Les musicologues ne le contredisent pas, qui datent ainsi la naissance du quatuor aux années 1780.

Admettons. Mais cela n’enlève rien de la qualité des précédents. Ainsi, du deuxième mouvement de l’Opus 1, n°6, un adagio superbement nostalgique rythmé par les cordes pincées des violoncelle, alto et deuxième violon. Ou encore la dramaturgie du menuet, encore un adagio, de l’Opus 17 n°5, avant un presto surprenant et sa brusque interruption.

On retrouvera dès le lundi 5 février prochain le Quatuor Cambini, avec Julien Chauvin, premier violon ; Atsushi Sakaï, violoncelle ; Pierre-Eric Nymilowycz, alto et Cécile Agator, second violon, qui remplace Karine Crocquenoy, indisponible depuis plusieurs sessions à la suite d’un accident à la main.

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Concert  donné le vendredi 12 janvier 2024, dans les foyers du théâtre de Caen.

 

 

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