« Cosi fan tutte », contentissimi!

Avec Emmanuelle Haïm à la baguette, Laurent Pelly à la mise en scène, c’est un « Cosi fan tutte » prometteur qui s’annonçait au théâtre de Caen. L’intérêt était de surcroît aiguisé par la présence sur scène de l’enfant du pays, le ténor Cyrille Dubois. Le résultat a dépassé l’attente. L’opéra de Mozart a été servi par un orchestre, le Concert d’Astrée, au mieux de sa forme, une équipe de chanteuses et chanteurs au diapason. Le tout dans une scénographie judicieuse.

Marivaudage tressé d’humour et cynisme, « Cosi fan tutte » est un bonheur musical. « Ainsi sont-elles toutes », la traduction du titre donnerait des boutons à quelques néo-féministes prêtes à mettre au feu le livret de Lorenzo Da Ponte. Les deux héroïnes, Fiordiligi et Dorabella, vont être au centre d’une mauvaise farce concoctée par cette vieille canaille de Don Alfonso.

Pas si dindes que ça les deux sœurs, qui, dans un premier temps, résistent aux assauts de deux Albanais, en réalité ainsi déguisés, leurs amants militaires soi-disant partis à la guerre. C’est Alfonso qui tire les ficelles en échange d’un pari avec ses amis Ferrando et Guglielmo. La fidélité des deux jeunes femmes se trouve au cœur de l’enjeu.

Alfonso a trouvé  une alliée en la personne de Despina, la camériste des deux sœurs. Un brin perverse, sans doute mue par une pointe de jalousie, la femme de chambre entre dans la machination, persuade ses maîtresses de profiter de leur liberté. Ce qui va finir par arriver, sauf que la fiancée de l’un succombe à l’amant de l’autre.

C’est quand même une « happy end », qui conclut le chef d’œuvre de Mozart. Le « Cosi » aura ainsi déployé tout un éventail de sentiments, de situations autour de la question de l’amour, avec ses corollaires sur le désir, la séduction, la sensualité, la sincérité, le mensonge, la tromperie, le poids social. La musique en est le reflet. « Elle humanise constamment, ainsi que le souligne Emmanuelle Haïm, une intrigue douce-amère, cruelle, et puis le rire y est aussi omniprésent. »

On ne s’étonne pas voir la cheffe, crinière rousse en mouvement, conduire ardemment et finement son Concert d’Astrée. Arias, récitatifs, duos, trios ; quintettes se succèdent en osmose exemplaire avec l’orchestre, les interprètes s’associant avec la même entente. À titre d’exemples, le récitatif  « Che sussuro ! Che strepito » (Acte I, scène XI) ou le final du premier acte (« Si mora si, si mora ») se révèlent des bijoux fusionnels.

La jeunesse et l’expérience font cause commune. La soprano Vannina Santoni (1) campe une Fiordiligi à l’apparente fragilité sous la coupe de sa sœur Dorabella, interprétée par la mezzo Gaëlle Arquez. Cyrille Dubois, ténor (Ferrando) rivalise d’initiatives avec le baryton (Florian Sempey). Laurent Naouri orchestre de sa voix basse tout ce manège, auquel Laurène Paterno apporte par ses timbres et ses mimiques une force comique.

Il faut la voir, petite puce aux épaules rentrées dans une attitude de catcheuse, le visage mobile à la Guilietta Masina. Ou encore, comme sortie d’un album de Tintin, en professeur à la barbe grise, intervenant pour « ranimer » les deux « Albanais ». Ils ont simulé un empoissonnement pour attendrir  Fiordiligi et Dorabella. Celles-ci n’ont vu que du feu, trompées aussi par la tenue des deux jeunes gens, noire à la coupe XVIIIe très maçonnique, visage grimé à l’italienne.

Il y a de quoi se méprendre dans un XXe siècle reconstitué. Et c’est là qu’intervient subtile et séduisante la mise en scène de Laurent Pelly associée à la scénographie de Chantal Thomas. On n’est pas à Naples, comme Da Ponte situe l’action à l’origine, mais à Berlin. Enfin Berlin, parce que le metteur en scène a choisi comme décor de s’inspirer d’un studio d’enregistrement berlinois. Le Funkhaus a marqué l’histoire du disque des années.

On se retrouve dans une forêt de micros, pupitres et chaises que dominent deux cabines. Dans ce cadre, un groupe de chanteuses et chanteurs vient enregistrer le « Cosi fan tutte ». Progressivement l’intrigue prend « corps » entre les interprètes. Le théâtre devient réalité originelle par le biais des costumes des deux jeunes hommes, délicatement et brièvement évoqué aussi chez les fiancées par le port de paniers, ces armatures autour de la taille destinés à gonfler les robes.

Au studio, se substituent de grandes cloisons boisées, qui tiennent de l’auditorium. Leur mobilité, due à la manipulation de figurants, ceux-là mêmes qui opéraient dans le studio, participe de l’évolution de l’opéra. L’intervention du chœur Unikanti s’y inscrit avec une conviction heureuse. On note dans l’orchestre les phrases confiées au pianoforte du chef de chœur Benoît Hartoin.

Ce merveilleux « Cosi », créé en début d’année, va partir en tournée aux États-Unis et au Japon. Nul doute qu’il rencontrera autant de spectateurs « contentissimi » qu’à Caen !

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« Cosi fan tutte » par le Concert d’Astrée, représentations données au théâtre de Caen mardi 29 mars, jeudi 31 mars et samedi 2 avril 2022 au théâtre de Caen.

 

(1) En urgence, une nouvelle Fiordiligi

Pour des raisons de santé, la soprano a manifesté des inquiétudes pour assumer son rôle dès le lendemain de la première représentation. Il a fallu d’urgence trouver  une nouvelle Fiordiligi.

Se trouvait disponible Gabriele Philiponet,  alors à Lille avant de rejoindre l’Opéra de Bordeaux. Changement de programme. Dans le taxi la conduisant à Caen _ il fallait faire vite _, la chanteuse révise ses partitions. Elle a déjà interprété le rôle, mais ça remonte à 2016.

Elle a à peine le temps de faire une répétition avec Emmanuelle Haïm. Heureusement, Vannina Santoni assume sa place pour la représentation du jeudi 31. Pour la dernière, samedi 2 avril, Gabriele Philiponet pense avoir fait le déplacement pour rien.

Elle se tient prête néanmoins. Elle a pris le temps de chauffer sa voix. Bien lui en a pris. Vers la fin du premier acte, au cours sextuor « Alla bella Despinata » (scène XI), on vient la chercher à la hâte dans la salle. Vannina Santoni a fait comprendre en coulisses ses difficultés.

Gabriele Philiponet raconte : « On m’installe un pupitre en bord de scène, alors que Vannina avait entamé le fameux « Come Scoglio ». Le temps d’inspirer, elle me fait signe et j’enchaîne, « contra i venti e la tempeeeeeesta ». Nous avons terminé l’opéra, Vannina assurant les récitatifs et moi les parties avec orchestre. »

« Je me souviendrai de ce week-end ! », conclut Gabriele Philiponet. Ses partenaires et le public de ce 2 avril certainement aussi devant cette performance.

 

 

 

 

 

 

 

 

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