Pierre Fouchenneret impérial à Deauville

 

Le festival de Pâques de Deauville a retrouvé ses marques depuis le dernier week-end pascal. Cette 26e édition post-confinement a été endeuillée par l’annonce de la disparition de Nicholas Angelich. Le grand pianiste faisait partie de la bande des quatre fondateurs du festival avec Renaud Capuçon, Jérôme Pernoo et Jérôme Ducros. En hommage à cet artiste aussi talentueux que réservé et attachant, Yves Petit de Voize, directeur artistique, lui a dédié tous les concerts d’un programme qui se prolonge jusqu’au 7 mai. Celui de ce vendredi 23 avril était consacré à Arvo Pärt, Schumann et Mozart, interprétés par l’Orchestre régional de Normandie, sous la direction de Jean Deroyer. Avec la participation enthousiasmante du violoniste Pierre Fouchenneret.

 

L’invitation faite à l’Orchestre régional de Normandie répond à une nécessité, au moment où cette formation est menacée d’une fusion avec l’orchestre de l’Opéra de Rouen (1). Ce qui s’appelait à l’origine l’Ensemble de Basse-Normandie est né dans le début des années 1980. La politique culturelle menée par Jack Lang a conduit à la création, en régions, d’orchestres et de centres chorégraphiques.

Cet orchestre, qui compte dix-huit musiciens permanents, sillonne la Normandie et au-delà, avec des programmes adaptés à des lieux pas toujours habitués à recevoir des concerts. La variété et l’originalité de ses propositions lui vaut une reconnaissance, dont l’invitation à Deauville est un témoignage supplémentaire. C’est la première fois que l’Orchestre régional de Normandie se produit salle Elie-de-Brignac.

Le programme de ce concert reflète bien l’esprit de cette formation et de son chef principal. Jean Deroyer, jeune quadragénaire, a fait ses premières études au conservatoire de Caen. Il est aujourd’hui détenteur d’un palmarès enviable de direction. Le choix porté sur Mozart et sa célébrissime 40e Symphonie en sol mineur ne frappe pas, de prime abord, par son hardiesse. Elle n’en suscite pas moins la curiosité. Et s’il faut lui trouver un fil rouge avec l’œuvre contemporaine, « In Spe » du compositeur estonien, Arvo Pärt, et le  Concerto pour violon et orchestre en ré mineur de Robert Schumann, c’est  celui d’une tonalité de gravité et de méditation . Une large palette musicale s’offre en tout cas à l’auditoire, non seulement celui présent en salle, mais aussi celui à l’écoute de la radio du festival, B. concerts (anciennement Music.Aquarelle), qui diffuse la soirée en direct.

L’œuvre de Schumann constitue l’attraction de ce programme. Elle connaît un sort particulier. Joseph Joachim, violoniste et ami du compositeur, renonce à créer ce concerto dont il devait être le dédicataire. La partition composée en 1853 tombe dans l’oubli. Elle ne ressort qu’en pleine période nazie pour supplanter le Concerto d’un Mendelssohn « blacklisté » .

Plus tard, Yehudi Menuhin se charge d’une réhabilitation noble de l’œuvre, qu’il situe comme le « chaînon manquant » entre Beethoven et Brahms. Depuis,  les meilleurs solistes n’ont de cesse d’affronter cette écriture virtuose et angoissée, quasi testamentaire de Schumann. Pierre Fouchenneret, devenu un fidèle du festival, est de ceux-là.

Sa coiffure s’est assagie, mais son activité reste débordante. Dernièrement, il a participé à une intégrale de la musique de chambre de Brahms, éditée par B. Records. Pour ce même label du festival de Deauville, il est engagé dans un cycle Schumann, qui intègre l’enregistrement de ce concerto. Pierre Fouchenneret y investit toute sa passion. Son archet et vif  sans nuire à l’expressivité ni à la subtilité des nuances.

L’Orchestre régional de Normandie lui offre un compagnonnage d’une disponibilité de tous les instants.  La conduite de Jean Deroyer est, comme toujours, aux petits soins, qui vit par le geste et le regard la composition contrastée de Schumann. Au terme d’une interprétation impériale, le violoniste et le chef tombent dans les bras l’un de l’autre. Les applaudissements nourris saluent et la performance et ce moment intense de complicité musicale.

En ouverture du concert, « In Spe » aura invité à un court moment contemplatif. Le fascinant et si singulier compositeur Arvo Pärt a d’abord écrit cette œuvre, en 1976, pour un ensemble vocal. Le titre signifie « Dans l’espoir ». Il prend aujourd’hui une nouvelle résonance, si l’on retient combien la vie du compositeur estonien reste marquée par les occupations nazie et soviétique de son pays.

Réécrit, en 2010, pour quintette à vents et orchestre à cordes, « In Spe » se caractérise par un long crescendo, successivement introduit par chacun des instruments à vent (cor, basson, hautbois, clarinette, flûte) répartis en cinq endroits de la salle. C’est le type même d’œuvre, dans laquelle excelle l’Orchestre régional de Normandie.

Même si on l’assimile au format mozartien, la formation nécessite de compléter son effectif permanent pour passer au stade symphonique. La 40e du génial Mozart fait partie des « must », dont on retient surtout le premier mouvement, identifiable dès les premières mesures. Sa composition, l’été 1788,  est inscrite dans un triptyque. Celui-ci  répond à la fois à une urgence financière et la douleur de la mort prématurée de Theresia, son quatrième enfant.

Les nuages s’accumulent dans cette symphonie zébrée d’éclairs et de coups de tonnerre. Peuvent surgir de brèves éclaircies paradoxales. Mais ça n’est pas avec des sabots que l’on danse le mieux, semble conclure l’œuvre. Jean Deroyer adopte au final une rupture sèche comme un coup de fouet. Elle laisse un blanc quasi hypnotique, vite rattrapé par une pluie d’applaudissements.

______________________________________________________________________

Concert donné le samedi 23 avril 2022, 20 h, salle Elie-de-Brignac à Deauville.

Ce même concert (Schumann et Mozart) est donné à la Renaissance, à Mondeville, mardi 26 avril, 20 h 30. Rens 02 31 35 65 94; billetterie, de 15 h à 18 h 30 ou en ligne sur larenaissance-mondeville.fr

(1)  Le projet conduit par la Région Normandie répond plus à des critères de logique économique (à démontrer d’ailleurs) qu’à des impératifs culturels sous-tendus par des préoccupations d’aménagement du territoire. Il suscite de nombreuses oppositions, en premier lieu des musiciens des deux formations (Orchestre régional de Normandie et Orchestre de l’Opéra de Rouen).

 

 

 

 

Laisser un commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.