« Psyché », le s(w)inging London de Locke

Sébastien Daucé et son ensemble Correspondances entraînent avec « Psyché » dans le Londres de Charles II. Après les années austères du républicain Cromwell, l’Angleterre renoue avec la cour avec dans la ligne de mire du souverain en place le modèle de Louis XIV. C’est ainsi que le compositeur Matthew Locke se voit confier la mission de créer le premier opéra anglais. La « Psyché » Lully lui sert d’exemple. Sébastien Daucé s’en empare dans une version de concert, dont il a fallu combler des blancs. Avec ses musiciens et chanteurs, il a présenté au théâtre de Caen une reconstruction convaincante à souhait.

« Psyché », lors de la création au festival Midsummer au château d’Hardelot (Pas-de-Calais). (Photo Sébastien Mahieux).

 

Dès l’entrée, ça sonne comme du Lully. Et pour cause, c’est du Lully ! Non que Matthew Locke ait de façon éhontée copié le maître de musique du roi Soleil. Mais, en s’intéressant à la « Psyché » de Matthew Locke (1675), Sébastien Daucé s’est retrouvé avec des lacunes dans l’ouvrage. Ainsi, il ne reste plus rien de la partition du coauteur, Giovanni Battista Draghi, qui avait écrit la musique des ballets.

En chercheur expérimenté, Sébastien Daucé a complété l’œuvre en puisant dans des mélodies anglaises de l’époque. Un manuscrit du XVIIIe siècle conservé à New-York lui a permis de reprendre des morceaux de danse réputés proches de ceux de Draghi. Le chef de Correspondances est passé maître dans l’art à « recoudre » des partitions depuis « Le Ballet Royal de la Nuit », dont le succès se prolonge. Ainsi cette « Psyché » reconstituée contient 60 % de pur Locke certifié, avec en emprunt assumé l’ouverture de l’œuvre de Lully. En tout cas le résultat est là, époustouflant.

 

On parle de l’ouvrage de Locke, sur la traduction par Thomas Shadwelle du livret de Corneille et Quinault, comme d’un semi-opéra. Semi, parce qu’il n’épouse ni la forme de la tragédie lyrique à la française ni celle de l’opéra italien. « Psyché » alterne théâtre et musique. Les principaux protagonistes, dont la nymphe, sont joués par des actrices et acteurs. Le chant est confié à des rôles secondaires et aux dieux.

Créé en juin 2019, au festival Midsummer dans le théâtre élisabéthain du château d’Hardelot (Pas-de-Calais), ce concert de l’ensemble Correspondances se circonscrit à ces parties instrumentales et chantées. Des surtitres décrivent l’évolution de l’action. Et on en arrive à cette situation paradoxale, où la nymphe Psyché, maintes fois citée, n’apparaît jamais. Comme l’Arlésienne ou encore l’épouse de l’inspecteur Colombo !

Il reste l’espoir d’une version scénique pour remédier à cette absence. Déjà la musique allègre et parfois espiègle de Locke est propre à capter l’attention dans une histoire aimablement emberlificotée. Pour faire court, Psyché est flanquée, comme Cendrillon, de deux sœurs jalouses. Elles intriguent pour contrarier l’amour que Cupidon porte à la nymphe réputée pour sa beauté. Les dieux vont s’en mêler. D’un côté, le clan de Vénus qui ne voit pas d’un bon œil l’idylle de son fiston ; de l’autre, le club de Pluton et de Proserpine, qui libèrent Psyché des Enfers. On vous aura fait grâce des nombreux épisodes intermédiaires, jusqu’à l’intervention de Jupiter qui met bon ordre pour un dénouement heureux.

Sans atteindre l’effectif de la version d’origine (une centaine d’artistes), les musiciens et chanteurs de Correspondances n’en rayonnent pas moins sous l’impulsion attentive de Sébastien Daucé. Celle-ci donne à la musique de Locke une intensité jubilatoire, comme un « swing » dont tous les pupitres sont complices. Certes, tous les passages ne sont pas de la même verve. Certains sont plus graves, comme cette lamentation, au début du quatrième acte, second emprunt à Lully.

D’une tonalité générale se distinguent ainsi divers registres, dans lesquels la palette vocale des chanteuses et chanteurs fait merveille. Particulièrement liée à Correspondance, la mezzo-soprano Lucile Richardot impressionne toujours par le naturel de son autorité vocale. La singularité de son timbre est similaire à celui, enchanteur, de Marc Mauillon. Le ténor, révélé sur cette même scène caennaise à l’occasion du premier Jardin des Voix (des Arts Florissants), est là en famille. Sa sœur Angélique joue de la harpe dans l’orchestre.

Enfant du pays, elle aussi issue de l’académie de William Christie, Elodie Fonnard apporte sa fraîcheur gracieuse de soprano épanouie, aux côtés d’un nom à suivre, Liselot De Wilde. A suivre aussi, le jeune ténor Antonin Rondepierre. Sa clarté sonore augure bien d’une maturité, dont font preuve quelques « piliers » de Correspondances que sont les deux basses Etienne Bazola et Nicolas Brooymans, et aussi le haute-contre David Tricou.

Depuis qu’il est arrivé sous les bonnes étoiles du plafond du théâtre caennais. Sébastien Daucé ne cesse d’étonner avec son ensemble Correspondances par la qualité et l’originalité de ses programmes. Le public le leur rend bien, qui ne peut que souhaiter à « Psyché » la même belle aventure que celle du « Ballet Royal de la Nuit » avec, on se répète (!) une mise en scène. Mais déjà un enregistrement serait le bienvenu.

 

Concert donné le samedi 18 janvier 2020, au théâtre de Caen.

 

 

 

 

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