« Melancholia »: airs de « B and B »

 

Brahms et Bruckner étaient au programme du concert des Dissonances, au théâtre de Caen. L’orchestre animé par le violoniste David Grimal a suscité le même enthousiasme qu’en avril 2018. Sous le titre de « Melancholia » étaient réunies deux œuvres majeures du répertoire romantique, le concerto pour violon de Johannes Brahms et la Symphonie n°9 d’Anton Bruckner. Avec des tempéraments différents, sinon opposés, de la part des deux compositeurs qui se suivaient en âge.

Les Dissonances. (Photo Julien Mignot).

On sait la singularité des Dissonances (lire aussi en archives). L’orchestre (76 exécutants) joue sans chef. David Grimal, son fondateur, s’il garde un œil sur ses collègues, n’enclenche pas moins le pilote automatique dès les premières notes. Ce qui implique de la part de tous les pupitres une solidarité d’interprétation qui repose sur la confiance. Il n’est pas étonnant que le recrutement se fasse par cooptation. Et ce qui frappe aussi dans les Dissonances c’est la jeunesse des musiciens, dont on devine le parcours d’excellence et une parité quasi parfaite. Et il n’est que voir la conquête des femmes dans le domaine des vents, chez les cornistes par exemple.

L’écriture du concerto pour violon correspond chez Brahms (1833-1897) à une période heureuse, magnifiée par un séjour dans une nature souriante, au bord du Wörthersee, en Autriche. On est à la fin des années 1870. L’ami du compositeur, le violoniste Joseph Joachim, n’est pas pour rien dans la virtuosité requise par cette œuvre. Comme s’il avait voulu écraser la concurrence, lui qui d’ailleurs créera tout naturellement le concerto, le jour de l’an 1879, à Leipzig.

S’il compte parmi les partitions les plus populaires de la musique classique, ce concerto n’en a pas moins subi les railleries d’un Claude Debussy ou d’un Gabriel Fauré. Sans doute étaient-ils agacés par le lyrisme exacerbé d’un Brahms euphorique. Mais on ne peut ne pas se laisser emporter par une mélodie identifiable dès les premières mesures de l’allegro et des deux autres mouvements, où, effectivement, la partie soliste exige une maestria d’exception.

En dialogue avec un orchestre à l’unisson _ une mention aussi au hautboïste Alexandre Gattet _ David Grimal rayonne avec une expressivité rare par delà la performance technique ; entraîne dans des paysages stratosphériques ; se coule dans l’inspiration tsigane de Brahms dans une conclusion quasi dansante. Il n’est pas étonnant de relever que l’interprétation enregistrée du concerto par les Dissonances a été celle, parmi cinq autres versions, retenue par la Tribune des critiques de disques, l’émission dominicale de France Musique. C’était en mai 2014. Depuis, elle n’a pu que se bonifier en concert.

Avec la 9e Symphonie de Bruckner (1824-1896), on verse dans un romantisme anxieux, en quête de spiritualité. Le compositeur autrichien était connu pour sa dévotion et sa foi catholique. Son perfectionnisme le poussait de reprendre ses partitions. Sa 9e en témoigne, qui demanda un travail étalé sur une dizaine d’années et resta inachevée. Bruckner ne laissa que quelques esquisses pour le « finale » d’une œuvre ultime qu’il dédiait à Dieu.

Moins célèbre que le concerto de Brahms, cette symphonie majestueuse d’un peu plus d’une heure est surtout connue pour son scherzo introduit par des pizzicati, tels une pluie battante avant que les archets fassent vibrer tous les pupitres de cordes comme des coups de tonnerre. Mais c’est surtout la dominante des cuivres qui caractérise l’œuvre et lui confère une solennité empreinte de mysticisme, sous l’autorité des percussions. Il n’est que d’observer David Grimal, au poste de premier violon, le regard tourné vers le timbalier _ excellent Javier Eguillor, timonier dominant en fond de scène tout l’orchestre _ pour mesurer le rôle primordial de la cadence.

Là encore, on est saisi par la coordination exemplaire entre les blocs de musiciens et par l’ampleur qui s’en dégage. A ce titre, l’intervention des cors est un régal auditif. Mais c’est tout un ensemble de bonheur musical que salue le public par des salves d’applaudissements. En réponse, David Grimal invite à aider Les Dissonances à trouver des dates de concerts. Gérer cet orchestre indépendant n’est pas une mince affaire. Or il ne peut vivre qu’en se produisant. Son fonctionnement original et sa qualité reconnue méritent un soutien contant.

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Concert donné le samedi 11 janvier 2020 au théâtre de Caen.

Site des Dissonances : www.les-dissonances.eu

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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