« Tarquin », mise à nu d’un fantôme

La compagnie La vie brève se singularise par des spectacles originaux où mots et notes de musique s’enchevêtrent subtilement. Avec « Tarquin », elle fait pénétrer dans ces zones troubles où le mal s’accommode de l’esthétique artistique. Bourreau et mélomane ne forment pas nécessairement un oxymore. « Tarquin », en référence au despote, dernier roi de Rome, entraîne dans l’Amérique du Sud, où des Nazis ont trouvé refuge. Sans la nommer, la personnalité du sinistre criminel Josef Mengele plane sur ce spectacle, où le burlesque agit comme une soupape.

En quelques strophes, le baryton Florent Baffi évoque en allemand et en espagnol la fuite du général Tarquin, repéré dans un pays qui pourrait être l’Argentine et qui serait mort par noyade. Derrière lui, se découvre une grande salle de bain, ouvrant sur une végétation luxuriante. Un homme se baigne, tandis que joue un quatuor de musiciens _ violon, violoncelle, clarinette et clarinette basse, accordéon et bandonéon _ habillés comme des soldats d’opérette.

L’habile mise en scène de Jeanne Candel, sur un livret d’Aram Kebabdjian, s’appuie sur ce seul décor qu’elle chamboule au fil d’une enquête confiée à une juge internationale, flanquée d’un inspecteur. Celui-ci ne manque pas de zèle, qui défonce le sol à coups de marteau-piqueur et qu’on verra réapparaître couvert d’humus et reprenant son souffle. Comme s’il avait poussé les investigations avec la vigueur d’un fox-terrier.

Car l’on a bien sorti un corps seulement enveloppé d’un drap. Mais est-ce bien celui du sanguinaire ? Drame lyrique, « Tarquin » se (dé) compose de témoignages, retours en arrière, visions de cauchemar sont autant de pièces (musicales) d’un puzzle, qui vise à percer le mystère du mal personnifié par le général (Damien Mongin).

L’intervention de sa fille adoptive Marta, chantée par Agathe Peyrat, les scrupules de son fils naturel devenu député (Florent Baffi) tentent d’en atténuer la portée. A l’inverse, le tourment que vit en rêve la juge (Delphine Cottu) laisse deviner l’horreur de ses auditions. Elle voit surgir Tarquin en nageur de compétition _ palmes, bonnet et lunettes _ qui la somme de s’auto-énucléer ! Il n’y a rien à voir… Cette allusion à la torture rend écho à la salle de bain, aux baignoires d’horrible mémoire et la pluie tropicale perçue de la fenêtre ajoute aux moisissures qui précipitent l’effacement des traces.

A partir de la Sérénade de Schubert et la cantate « La Lucrezia » de Haendel, Florent Hubert a construit une ligne musicale sur laquelle évolue cette équipe épatante de comédiennes et comédiens aussi à l’aise dans le jeu que dans le chant. L’apport de musiques sud-américaines, avec tango et rumba un peu de guingois, intervient comme un pas de côté, une esquive à la hantise redoutée d’un fantôme. L’humour cocasse soulève aussi la chape du malaise. Ainsi de la scène d’une photo de groupe autour d’un fémur ou celle du surgissement halluciné du policier (Léo-Antonin Lutinier). Mais la question reste toujours ouverte. Peut-on se délivrer du mal ?

 

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« Tarquin », au théâtre de Caen, représentations données le mercredi 5 et le jeudi 6 février 2020.

 

 

 

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