« Cendrillon », l’important c’est la rose…

La fondation Bru Zane, installée à Venise, a à cœur de faire redécouvrir tout un pan de la musique française du XIXe siècle. Le théâtre de Caen bénéficie de ce travail depuis plusieurs années. Dernière production en date, « Cendrillon » un opéra de Nicolas Isouard, créé en 1810 à l’Opéra-Comique, à Paris, inspiré du célébrissime conte de Charles Perrault. Avec dans la fosse le Concert de la Loge, dirigé par Julien Chauvin, l’œuvre, toute de fraîcheur mise en scène par Marc Paquien, réunit sur scène un quintet convaincant de chanteuses et chanteurs ainsi que deux comédiens irrésistibles.

Photo Cyrille Cauvet. Opéra de Limoges.

D’abord se défaire du souvenir du « Cendrillon » de Walt Disney. De toute façon, Nicolas Isouard (1773-1818) a largement le bénéfice de l’antériorité. Et puis son adaptation avec le livret de Charles-Guillaume Étienne, prend quelques libertés sur l’œuvre de Perrault. Ici, point de marraine, mais un magicien précepteur, Alidor, qui a le bras long ; pas de belle-mère acariâtre qui n’a d’yeux que pour ses filles, mais un beau-père tout aussi de parti-pris aux dépens de la pauvre Cendrillon.

L’esprit du conte reste néanmoins le même et la mise en scène de Marc Paquien en exalte la féerie dans un décor tournant dont l’architecture emprunte aux lignes incurvées d’un Hector Guimard. D’emblée, après une ouverture singulière, harpe et cor, le contraste est mis en place entre Cendrillon, balai en main et manteau rapiécé, et ses pestes de « sœurs », Clorinde et Tisbé. Elles se chamaillent à qui mieux mieux sur leurs toilettes, dont la surcharge de tissus et de couleurs tiennent des poupées en jeu dans les fêtes foraines.

Musicalement, cette opposition parcoure tout l’opéra, qui fait entendre dans le premier tableau une ritournelle (« Compère Guilleri » que chante _ « Titi carabi, toto carabo » _ la petite Paulette qu’incarne Brigitte Fossey dans « Jeux interdits » 1948), tandis que les accents aigus de l’orchestre exacerbent la dispute des deux chipies. Au point que leur père le baron de Montefiascone doit intervenir. Jean-Paul Muel qui tient le rôle ne manque pas d’à-propos en assimilant cette querelle à la manifestation d’intermittents du spectacle, entre autres, qui a retardé la représentation d’une heure un quart !

Le rire reprend ainsi ses droits. Lui aussi accompagne l’intrigue. En baron fat, qui s’égosille, Jean-Paul Muel excelle. Voix frottée au papier de verre et fins de phrases façon camelot, il n’est pas sans évoquer le sociétaire du Français, Christian Hecq. Christophe Vandevelde, Dandini, serviteur manipulé par Alidor, ajoute aux situations comiques, auxquelles participent Clotindre et Tisbé. Leur ambition, à la fois rivale et complice, de conquérir Ramir, le prince promis à une des jeunes filles du royaume, les poussent à des attitudes prétentieuses et comportements ridicules.

Alidor les a mises à l’épreuve en se présentant sous les traits d’un mendiant. Seul le tempérament aimable et rond de Cendrillon l’a pris en pitié, ce qui lui vaut un ticket pour le bal royal. Le mage en remet une couche en faisant inverser les rôles. Ramir s’habille en écuyer, tandis que Dandini est présenté comme le futur souverain. Évidemment les deux dindes tombent dans le piège. Elles dédaignent le serviteur en gilet, ou plutôt en pourpoint, jaune (comme le fait observer Alidor) mais ne manquent pas de se trémousser devant le faux prince.

Cendrillon, parée pour le bal comme une noble dame depuis son retour d’un vol en citrouille (ah, les effets de la magie!) sent son cœur battre devant Ramir, en dépit de son allure plébéienne. La rose qu’elle porte est gage de la pureté et de la sincérité de ses sentiments. Le prince est tout autant touché par les flèches de Cupidon, qui, le charme passé, ne lui laisse plus comme seul indice un soulier de l’inconnue. Avec comme ascendante Berthe aux grands pieds, a-t-on appris de leur père, Clotindre et Tisbé n’avaient guère de chances de retourner le sort à leur avantage. Elles n’ont même à tenter de chausser la « pantoufle de vair ». Cendrillon possède le soulier qui complète la paire.

La soprano Anaïs Constans incarne Cendrillon. Son chant doux et clair correspond bien au caractère modeste de son personnage. Elle est moins soumise aux voltiges vocales de Clotindre et Tisbé. Jeanne Crousaud et Louise Pingeot brillent dans duos redoutables. Jérôme Boutillier est un baryton solide. Il sert son personnage Alidor avec assurance et domine les débats. Du coup, et c’est souvent le cas avec les princes charmants, Ramir n’a pas grand chose à défendre. Le ténor Sahy Ratia s’en sort du mieux possible.

Dans la fosse, le concert de la Loge défend avec un talent les nuances de la partition de compositeur franco-maltais Nicolas Isouard. Sa « Cendrillon » connut un très grand succès pendant plusieurs décennies, jusqu’à ce que la « Cenerentola » de Rossini, créée en 1817, ne finisse par la supplanter. La faire revivre est une entreprise heureuse.

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« Cendrillon » de Nicolas Isouard, représentation donnée le vendredi 31 janvier 2020 au théâtre de Caen.

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