Seconde épouse de Jean-Sébastien Bach, Anna Magdalena Wilcke vécut près de trente auprès de celui qu’elle appelait « la musique sur terre ». La musique justement ne cessa d’accompagner leur amour, à l’épreuve de morts d’enfants, de difficultés financières. Un spectacle intime imaginé par Agathe Mélinand évoque avec finesse le destin de cette femme exceptionnelle. Il se déroule comme on feuillette son Petit livre de musique que lui avait offert son Cantor de mari. Cette évocation par deux comédiennes, une claveciniste et un pianiste, a été chaleureusement accueillie dans les foyers du théâtre de Caen. Trois soirées à guichet fermé.
Femme de… La tendance, aujourd’hui, est de sortir de l’ombre celles qui, épouses, maîtresses, ont joué un rôle auprès de grands noms. Anna Magdalena Bach (1701-1760) est de celles-là. Sa place dans l’histoire de la musique est connue et reconnue. Il n’est cependant pas négligeable de faire place à cette femme de seize ans la cadette du compositeur.
Ses maternités successives _ sur treize naissances, cinq enfants ont survécu _ lui ont fait renoncer à chanter. Pas à se désintéresser de la musique. Comment cela pouvait être possible auprès de Sébastien, comme elle se plaisait à le nommer tout simplement ? Dans la maison de Leipzig, attenante à l’école Saint-Thomas, où couple et enfants sont arrivés en 1723, la musique entraîne toute la famille.
Magdalena trouve le temps d’apprendre le clavecin, effectue des travaux de copie et de transcription. Elle en main deux cahiers. L’année précédant le déménagement, Bach lui a offert un « Notenbuchlein ». Un second suit en 1725, pour ses 24 ans. On peut voir l’ébauche du « Clavier bien tempéré » dans ces notes qui se remplissent de partitas, marches, arias, menuets, mais aussi une polonaise signée du jeune Carl Philipp Emanuel _ il a onze ans _ des pièces de Couperin ou Teleman. Elles témoignent du grand sens pédagogique de Bach.
De l’Allemande la Suite française n°1 au Prélude n°1 en do majeur en passant par le premier et le sixième mouvement des Variations Goldberg, dix-huit pièces ou extraits alternent avec le récit de la vie d’Anna Magdalena. La scène est épurée, avec comme seuls accessoires, des lampes, un piano, un clavecin et un clavicorde. À l’image probablement d’un intérieur simple, envahi de notes de musique, et, comme le suggère une bande son discrète, des rires et cris d’enfants contenus à domicile par une averse.
Juste rehaussées par un col de chemisier à rayures, les tenues noires des comédiennes Christine Brücher et Fabienne Rocaboy, ainsi que de la musicienne Marie Van Rhjin, ont une sobriété toute luthérienne. Le pianiste Charles Lavaud n’y échappe pas. Compagne de route des spectacles et créations de Laurent Pelly, la metteuse en scène Agathe Mélinand revendique son inspiration dans ce qu’elle considère comme un « des plus beaux films de musique », « Chronique d’Anna Magdalena Bach » (1) de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet (1968).
Agathe Mélinand le qualifie « d’œuvre brutale et douce, austère et voluptueuse, au noir et blanc velouté comme les joues des enfants ». Noir et blanc aussi comme les partitions, et qui, à l’instar d’un album de photos, déroulent une vie d’amour et de musique, heureuse et douloureuse. Autant d’épisodes marqués par une mortalité infantile (2) qui n’épargne pas le couple Bach uni par la foi, mais aussi des moments de petit bonheur familial autour d’un chant célébrant le tabac (!), ou d’instants tout personnels à fleurir le jardin.
Contenue en une heure, l’interprétation toute de tact et de délicatesse laisse du spectacle d’Agathe Mélinand une impression sensible à la manière d’une plaque photographique.
Spectacle musical, donné les mardi 17, mercredi 18 et jeudi 19 janvier 2023, dans les foyers du théâtre de Caen.
(1) Le film « Chronique d’Anna Magdalena Bach » est projeté au cinéma Lux, lundi 23 janvier, 19 h 30. Entrée libre sur présentation du billet du spectacle.
(2) De son premier mariage, Bach avait eu sept enfants, dont quatre étaient en vie quand il épousa Anna-Magdalena.
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