« Libertà ! » : Mozart et cætera …

Avec « Libertà ! », Raphaël Pichon est allé aux sources de l’opéra mozartien. Les années 1780 de l’Autriche de l’éclairé Joseph II ont ouvert au compositeur un champ d’expériences musicales et scénographiques introduites par l’opera buffa italien. Avec son ensemble musical et vocal Pygmalion, Raphaël Pichon offre une leçon musique intelligente et stimulante. Les accompagnent une jeune équipe internationale de chanteuses et chanteurs pétri(e)s de talent, témoins de l’universalité du « divin » Mozart. C’était au théâtre de Caen.

 

Musiciens et chanteurs sont déjà sur scène, tandis que le public s’installe. D’un pupitre à l’autre, on papote sur le plateau. Le groupe des solistes s’amuse à se prendre en photo, tandis que l’altiste Jérôme Van Waerbeke, instrument en main, semble chercher son siège. Raphaël Pichon arrive à son tour. Et puis tout se met en place dans une atmosphère à la fois détendue et concentrée.

Autour de trois sous-titres du programme « Libertà ! » _ « La folle journée » ; « L’école des amants » ; « Le débauché puni » _, le chef de Pygmalion entraîne dans les coulisses de création de ce qui deviendra la fameuse trilogie des opéras que Mozart a composés sur des livrets de Da Ponte : « Les Noces de Figaro », « Cosi fan tutte » et « Don Juan ». Au fil d’airs piochés ici et là dans le répertoire mozartien mais aussi chez des compositeurs de son temps (Paisiello, Martin y Soler, Salieri), se construisent des scènes, qui s’exonèrent des contraintes sociales de l’époque, où la franchise des sentiments bousculent les conventions d’alors.

On perçoit ainsi la confluence de la musique et d’une théâtralité bien plus ancrée dans une forme de réalité que dans des stéréotypes mythologiques, entre autres. Mozart est sensible au mouvement des Lumières. Le souffle de la liberté traverse plus paisiblement l’Autriche de Joseph II qu’il ne le fera en France. Il inspire à la musicologue Florence Badol-Bertrand, évoquant l’inspiration du compositeur er son contexte historique la belle appellation de « Révolution de velours » (1). On peut reprendre l’image textile pour qualifier la direction de Raphaël Pichon. Elle confère à l’orchestre une grâce aérienne contagieuse aux jeux des solistes.

Tout cela est le fruit d’un travail de recherche et d’adaptation. On le doit aussi aux orchestrations de quelques airs et extraits réalisés par Vincent Manac’h et Pierre-Henri Dutron. On le doit également à la conception scénique de Nahuel Di Pierro, par ailleurs chanteur basse d’une impressionnante expressivité. On retient notamment l’air que le chanteur brésilien partage avec le chœur « Ne pulvis et cinis » (Toi qui es cendre et poussière), tiré de « Thamos, roi d’Egypte ».

Ses deux autres partenaires masculins ne sont pas en reste. L’allure espiègle, le ténor néerlandais Linard Vrielink déploie un timbre d’une justesse délicate, au diapason de la mandoline d’Anna Schivazappa qui l’accompagne dans la sérénade « Saper bramate » (Vous voulez connaître) de Giovanni Paisiello. L’Américain John Best s’affirme comme un baryton puissant dans un équilibre de démonstration et de sobriété. En témoigne l’air « Io ti lascio, o cara addio » (Je te quitte ô cher amour, adieu).

Les trois chanteurs font merveille avec leurs partenaires féminines dans le sextuor avec chœur « Corpo di Satanasso ! » (Sacrebleu !), tiré de « L’Oca del Cairo » (L’oie du Caire), opéra bouffe inachevé de Mozart. En raison d’une maternité proche, Sabine Devieilhe est remplacée pour ce concert par la soprano sud-coréenne Sooyeon Lee aux côtés de l’Australienne Siobhan Stagg, elle aussi soprano. La couleur vocale de la première s’apparente bien avec celle de l’enfant du pays (Sabine Devieilhe est, rappelons-le, originaire d’Ifs) et, par exemple, on l’entend avec plaisir dans l’aria « Das schlägt die Abschiedsstunde » (L’heure des adieux a sonné), extrait de « Der Schauspieldirektor » (Le directeur de théâtre), courte partition de Mozart comprenant quatre numéros vocaux.

La seconde sait tirer une émotion intense en comtesse rêvant d’amours perdues dans le récitatif « Bella mia flamma, addio » (Ma belle flamme, adieu). La troisième soliste est la mezzo Adèle Charvet, révélation du festival de Pâques de Deauville en 2018. La jeune artiste s’est récemment distinguée dans un « Messie » de Haendel à l’auditorium de Radio-France. La spectatrice qu’elle était, est passée sur scène pour remplacer au pied levé un contralto, qui avait dû quitter le rôle, souffrant de la gorge. L’air « Vado ma dove ? O dei » (Je vais, mais où ? Oh dieux) offre un bel éventail d’une tessiture somptueuse.

Et entendre, d’entrée, les trois chanteuses dans le canon « Caro bell’idol moi » (Mon cher amour), accompagnées du son des bois présageait d’un bonheur qui n’a jamais été contrarié.

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« Libertà ! », concert donné le dimanche 22 décembre 2019, au théâtre de Caen.

 

(1) A lire dans le livret du cd enregistré chez Harmonia Mundi. Le disque est récompensé par le Choc de Classica, le Top de Mezzo et le Choix de France Musique. La distribution est la même pour les solistes hommes. Pas pour les solistes femmes. Sabine Devieilhe apparaît dans cet enregistrement avec la mezzo soprano Serena Malfi. Le déroulé des œuvres diffère aussi entre le disque et le concert en tournée.

 

 

 

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