Les vertiges du « grand huit »

On prend les mêmes et on recommence… Ou pour user du vocabulaire sportif, on ne change pas une équipe qui gagne. La formule a valu pour les trois premiers concerts du 16e Août musical de Deauville. On a ainsi retrouvé pour cette troisième soirée les pianistes Guillaume Vincent et Philippe Hattat, et le Quatuor Hanson, qui,  avec les violonistes Shuichi Okada et Brieuc Vourch, l’altiste Manuel Vioque-Judde et le violoncelliste Adrien Bellom, a formé un huit majeur. Son interprétation de Menselssohn et, la veille, de Chostakovitch, aura marqué l’auditoire.

 

Lorsqu’il s’avance vers le piano pour saluer le public, Philippe Hattat dégage comme un embarras, fort courtois au demeurant. Un peu comme s’il avait hâte de se retrouver devant son clavier. Là, le solide gaillard est à son affaire. Ce passionné de linguistique, entre autres domaines de la connaissance, démontre une capacité affinée de déchiffrage avec la « Fantaisie bétique » de Manuel de Falla.

Arthur Rubinstein qui en était le commanditaire ne s’y attendait pas à une telle copie truffée de chausse-trappes en recevant l’œuvre en 1919. Il ne la joua que du bout des doigts si l’on ose dire. Il n’empêche, cette « Fantaisie bétique » _ en référence à la chaîne montagneuse éponyme du sud de l’Espagne qui ceinture en partie l’Andalousie _ fait partie du répertoire pianistique.

Philippe Hattat l’aborde avec une fougue maîtrisée faisant ressortir tous les traits de la culture andalouse dessinés par le compositeur. On y entend les arpèges des guitares, les talonnades des danseurs et, quand la main droite fait sonner les aigus, les voix de têtes du chant flamenco. Son exécution tient de la performance. Pour un peu, on crierait « Olé ». En revanche, on applaudit très fort. Le pianiste y répond par un bis, « Le tombeau de Debussy », du même de Falla. Un bel hommage au compositeur français, dont on fête, cette année, le centenaire de la mort.

Destination Europe centrale ensuite. Ou plutôt non, vers les Etats-Unis. En 1941, le compositeur tchèque Bohuslav Martinu a fui l’Europe en guerre. Il a trouvé refuge à New-York, chaleureusement accueilli par ses pairs. Il découvre avec une certaine réserve un mode de vie à donner le tournis. Son Quatuor n°1 pour piano et cordes écrit l’année suivante semble traduire ces impressions mélangées.

L’œuvre n’est guère présente dans les programmes de musique de chambre. L’intérêt de cet Août musical est de la faire découvrir sous la conduite du trio de cordes Shuichi Okada, Manuel Vioque-Judde et Adrien Bellom et du pianiste Guillaume Vincent. On est frappé, dans le premier mouvement par le rythme imprimé par le piano _ pour un peu, on esquisserait un tango ! _ puis  par le chassé-croisé qui  s’installe entre les instruments.

Dans le deuxième mouvement, les cordes prennent la main, avant que le piano ne s’immisce en parallèle. De part et d’autre s’exprime une certaine nostalgie de l’exilé. Dans le troisième mouvement, l’ordre est inversé. Violon, alto et violoncelle se taisent avant d’entrer dans une ronde virevoltante qui monte en crescendo avant de s’interrompre brusquement. Le jeu des quatre musiciens est net. A la concentration impassible de Shuichi Okada ou d’Adrien Bellom, répond le visage expressif de Manuel Vioque-Judde, tandis que Guillaume Vincent, au maintien impeccable, surveille le trio avec une prévenance de gardien de but.

La seconde partie du concert est consacrée exclusivement à l’Octuor pour quatre violons, deux altos et deux violoncelles opus 20 (1825) de Félix Mendelssohn. On reste toujours surpris par le caractère précoce de l’ouvrage _ le compositeur n’a que seize ans et n’est pas à son coup d’essai _ et son originalité _ l’effectif de huit instruments est une première en musique de chambre.

L’œuvre est une pièce de choix pour mettre en valeur chacun des instrumentistes. Certes, la part du premier violon est primordiale. Anton Hanson confirme, s’il en était besoin, sa qualité de leader. Lui et ses partenaires ont bénéficié, l’an dernier, d’une résidence déterminante à France Musique dans les émissions de Stéphane Goldet. On a pu en mesurer les qualités dès le premier concert de cet Août musical, à partager entre Jules Dussap, violon, Gabrielle Lafait, alto, et Simon Dechambre, violoncelle.

Ils sont rejoints par Shuici Okada et Brieuc Vourch, Manuel Vioque-Judde et Adrien Bellom pour cet Octuor de Mendelssohn. La mémoire se grave de l’intensité et de la richesse de l’œuvre, les rebondissements d’un instrument  à l’autre et la virtuosité sollicitée à chacun dans un presto vertigineux qui conclut ce « grand huit ».

 On n’est pas au bout des sensations fortes avec le bis proposé par la jeune formation créée pour ce 16e Août. Elle reprend le scherzo qui fait la charnière des Deux pièces pour octuor à cordes de Dmitri Chostakovitch, interprétées intégralement la veille. Œuvre de jeunesse elle aussi, le compositeur russe l’a écrite à l’âge de 18 ans en 1924, elle entraîne dans ce mouvement dans une folle cavalcade, où le révèle la causticité du compositeur, qui subira la pression stalinienne et apprendra à s’en déjouer. Ce bis en a remarquablement restitué l’esprit grinçant.

 

Concert du mercredi 1er août 2018, salle Elie de Brignac, à Deauville.

 

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