« Le Vaisseau fantôme » : Et vogue la galère…

Les vents _ bois et cuivres _ et les cordes : entre un navire et un orchestre, il y a des analogies de vocabulaire. Elles ne sont jamais plus proches qu’avec cet opéra de Richard Wagner, « Le Vaisseau fantôme », magnifiquement recréé dans une coproduction à marquer d’une pierre blanche du Wagner Geneva Festival, auquel participent les théâtres de Caen et de Luxembourg. Recréé, dans la mesure où cette version dite de Paris ne vit le jour pas dans la capitale française, comme l’escomptait le compositeur, qui en fut très affecté.

« Le Vaisseau fantôme » reprend la légende du « Hollandais volant », capitaine maudit condamné, pour avoir défié Dieu, à voguer à jamais sur les mers. Tous les  sept ans, il peut accoster et espérer son salut en une femme qui lui  jurera fidélité.

Puissance des cuivres, sifflement et ululement des bois, ressac des cordes, tonnerre  des percussions, la tempête fait rage dans la fosse au fil d’un prologue quelque peu surligné. Mais c’est Wagner ! Le calme revenu s’ouvre sur un équipage, dont le pied marin s’accommode encore mal de la terre ferme. Mais il est sauf et le havre n’est pas si loin du pays natal.

Au devant de la scène, sous le plafond bas d’un corridor pentu en ligne de fuite, Senta, une jeune fille, observe, suit en silence le groupe. Sait-elle que Donald, son père, le commandant du bateau, a conclu un marché avec le Hollandais : la promesse de sa fille contre les richesses du navigateur errant ?

L’intérêt de la mise en scène d’Alexandre Schulin s’appuie sur un univers mental, suggéré par le décor, dans lequel est enfermée Senta, juvénile exaltée entre rêve et fantasme. Dès lors, l’intrigue se resserre entre Donald, père vénal, le Hollandais implorant et Senta pleine d’empathie pour cet homme frappé de malédiction.

Le Chinois Liang Li, l’Américain Alfred Walker et la Suédoise Ingela Brimberg, star du lyrique dans son pays, forment ce trio majeur. Deux voix de basses et une soprano, dont la justesse et la puissance donnent la chair de poule. Au caractère expressionniste, massif des personnages, s’oppose la silhouette de Senta, modestement habillée de rose.

Elle dénote parmi les femmes et fiancées des marins de retour, élégantes dans leurs tenues noir et blanc  tirées d’un catalogue de Coco Chanel d’avant-guerre. La qualité des costumes, même si celui du Hollandais englué dans un manteau noir, à la traîne interminable, paraît trop chargé, participe d’un bonheur visuel constant.

Et la musique bien sûr. Frappé par un virus qui incite à garder la chambre, François-Xavier Roth a tenu la barre de bout en bout de son orchestre Les Siècles, impeccable tout comme le chœur, dont les mouvements d’ensemble contribuent à une lecture sans défaillance de l’opéra. Sa fin mérite une question.

L’œuvre se termine d’après le livret sur l’adieu du Hollandais troublé par l’intervention du fiancé de Senta tentant de reconquérir son amour. La jeune fille dans un ultime geste de sacrifice se jette dans les flots. Or là, Senta paraît bien plutôt s’affranchir de ces oppressions pour devenir une femme libre. N’est-ce pas la signification de cet ultime et définitif coup de pied à cette marionnette à l’effigie du Hollandais, sorte de poupée vaudou qui ne la quittait jamais ? Et vogue la galère…

Le 30 avril 2015, au théâtre de Caen.

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