« La bonne âme du Se-Tchouan » à pile ou face

Pour avoir été la seule à accepter d’héberger des dieux en tournée dans le Sé Choan, Shen Té, n’est pas en mal de payer son loyer. Mieux, elle peut s’acheter un petit commerce de tabac. Plus la peine de vendre son corps. Mais, cet « ange des faubourgs », cette Marie-Madeleine chinoise a le cœur trop généreux.

Pour se sortir des griffes des profiteurs, roublards, corrupteurs et autres pique-assiettes, elle s’invente un cousin, Shui Ta, plus doué en affaires qu’elle. Dans ce double jeu, Shen Té/Shui Ta finit par s’emberlificoter. Vouloir aider autrui n’est pas payé de retour, constate-t-elle avant qu’un ciel de grêle ne lui tombe sur la tête. Consternés par ces humains décidément indécrottables, les dieux se débinent. Ils n’entendent rien à l’économie, il est vrai.

Ecrite pendant son exil suédois, juste avant la Seconde guerre mondiale, « La bonne âme du Sé Chouan » est une tragi-comédie plutôt méconnue de Bertold Brecht. Jean Bellorini l’a montée à Toulouse, juste avant son départ pour Saint-Denis, où il dirige depuis un an le Théâtre Gérard-Philipe. Il est aujourd’hui le plus jeune directeur d’un centre dramatique national.

Sur le plateau du théâtre de Caen, dans un décor que ne renieraient pas Jérôme Deschamps ni sa bande des Deschiens _ rideaux de fer bruyants, mobilier en formica, accordéon geignant, costumes signés Macha Makeieff _, Jean Bellorini fait tournoyer le « pile ou face » d’une pièce riche de personnages attachants parfois, peu glorieux toujours. Entre l’amour pour un aviateur sans ailes ni scrupule et l’aide d’un barbier faussement désintéressé, Shen Té/Shui Ta se trouve prise dans un piège, dont elle sort par l’aveu et un procès.

Jouant sur les ambiguïtés de Shen Té/Shui Ta, remarquable Karyll Elgrichi,  Jean Bellorini inscrit sa mise en scène dynamique dans une tradition du travestissement, depuis le répertoire baroque jusqu’au cabaret berlinois. On retrouve la veine du théâtre musical de « L’opéra de quat’sous » qui associait Brecht à Kurt Weill.

« La bonne âme » est ainsi ponctuée de chansons, écrites pour ou adaptées à partir du texte original parfois librement traduit. Elles ajoutent à la qualité du spectacle, qui bénéficie d’une distribution soudée, d’où surgissent des talents comiques, à l’image d’un Teddy Melis, héritier d’un Louis de Funès.

Le 23 janvier 2015.

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