« Le dernier métro », drôle de rame

Célèbre film de François Truffaut, « Le dernier métro » est un hommage du cinéma au théâtre. Le metteur en scène franco-suisse Dorian Rossel rend la pareille en transposant le film sur les planches. Le spectacle vient d’être accueilli au théâtre de Caen. Autant on avait été séduit par son adaptation de « Voyage à Tokyo »  du cinéaste japonais Yasujiro Ozu, autant cette nouvelle production laisse un sentiment mitigé.

Photo: Carole Parodi

On est sous l’Occupation. Marion a pris les rênes d’un théâtre parisien, depuis que son mari, Lucas, a dû s’enfuir à cause de ses origines juives. En fait, elle est la seule à le savoir reclus dans la cave de l’établissement, où il a écho de tout ce qui s’y passe. Pour Marion, il importe de continuer à faire vivre son théâtre. Comme beaucoup d’autres salles, c’est le refuge de Parisiens qui, jusqu’à l’heure du dernier métro avant le couvre-feu, trouvent contre l’adversité du temps, distraction et chaleur. Pour cela il lui faut jongler contre la censure, représentée par l’infect Daxiat, critique théâtral dans la revue collaborationniste « Je suis partout ».

 

Autour de Marion gravitent plusieurs personnages : metteur en scène, habilleuse, décoratrice, machiniste, jeune comédienne. Ils évoluent entre système D, méfiance, ambition naïve, compromis. Mais tous sont portés par le souci de poursuivre les répétitions de la pièce d’un auteur scandinave. Cette pièce, c’était le projet de Lucas Steiner. Nom réputé sur la scène des grands boulevards, Bernard Granger est appelé à tenir le premier rôle auprès de Marion. Une relation troublante s’établit entre eux. Sur ce scénario coécrit avec Suzanne Schiffman, François Truffaut a réalisé en 1979 « Le Dernier Métro », un film mémorable où rayonne une belle distribution : Catherine Deneuve et Gérard Depardieu, en tête et aussi Heinz Bennett, Jean Poiret, Andréa Ferreol, Sabine Haudepin, Maurice Risch…

 Double Marion

C’est là le hic. L’ombre du film plane sur toute la pièce. On peut savoir gré à Dorian Rossel d’être resté fidèle à l’esprit de l’œuvre de Truffaut dans une mise en scène alerte, où s’enchaînent les séquences, avec les pointes d’humour révélatrices du cinéaste. On peut aussi admettre le dédoublement du personnage de Marion _ incarnée à la fois par Delphine Lanza et Julie-Kazuko Rahir. « Il y a deux femmes en vous », dit d’elle Bernard Granger. Dorian Rossel prend la réplique au mot, d’autant qu’elle reflète un tiraillement entre le mari et l’amant virtuel. Seulement, il y a quelque chose d’édulcoré dans jeu des comédiennes, « sœurs siamoises » plutôt sages dans leurs robes chemisier à fleurs, là où on attend plus de sophistication et d’autorité. A l’inverse, Eric Gerken (Lucas Steiner) est parfait.

 

Silhouette solide enveloppée dans sa canadienne, prompt au coup de poing (1), Thomas Diebold, dans le rôle de Bernard Granger, est présenté comme un  Gabin qu’on n’attend pas. Mais au moins, on ne le fait pas tomber dans la caricature d’un Daxiat, un moment éclairé tel un Nosferatu et dont l’évocation de la mort tourne au grotesque. Pourquoi surligner ainsi le sort d’un homme que l’on sait infâme ? De même, on ne peut s’empêcher d’attribuer à un effet de mode le fait de confier le rôle du metteur en scène (Jean Poiret dans le film) à une comédienne. So what ? Pourquoi négliger de ne pas mettre tout le monde au même diapason vestimentaire ?

Enfin, on ne peut que regretter que Dorian Rossel n’ait pu que transposer incomplètement la scène finale du film. La reprise de la réplique culte _ « Te regarder est une joie… et une souffrance » _, déjà formulée dans « La Sirène du Mississipi » n’est pas accolée à l’effet de surprise provoqué in fine dans « Le Dernier Métro », version Truffaut. Où là, le cinéma explore les coulisses du théâtre, comme sa caméra l’a fait d’un tournage avec « La Nuit américaine ».

 

(1) Pour cette séquence, François Truffaut s’est appuyé sur un fait réel signé Jean Marais qui a ainsi corrigé le chroniqueur de « Je suis partout ».

Représentations données mardi 13 et mercredi 14 novembre 2018, au théâtre de Caen.

 

 

 

 

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