Le théâtre de Caen vit des heures passionnantes avec des « Noces de Figaro », made in Tchéquie. Depuis un « Rinaldo » de légende, la scène caennaise entretient depuis une quinzaine d’années une collaboration fructueuse avec Václav Lucks et son orchestre Collegium 1704. De même avec le metteur en scène Jiří Heřman, dont le travail sur l’opéra de Mozart associe pertinence et élégance au service d’un plateau vocal pétillant. Les trois représentations ont été prises d’assaut. C’était l’occasion ou jamais. Caen est la seule scène française à accueillir cette production. Tant pis pour les autres !
Une ouverture enchantée par la danse. (Photos Marek Olbrymek).
Si le librettiste Lorenzo Da Ponte a atténué les propos satiriques de la comédie de Beaumarchais, son adaptation n’en recèle pas moins des charges contre la gent masculine et les puissants. Et il avait été assez fine mouche pour convaincre l’empereur d’Autriche Joseph II de la qualité musicale de Mozart, qui, au surplus, avait intégré de la danse dans cet opéra. Ce qui n’était pas sans déplaire au frère de Marie-Antoinette.
Succès à Vienne, à la première, un premier mai 1786, trois ans avant que la Révolution ne gronde à Paris. Mais triomphe total, au seuil de l’année suivante à Prague, qui témoigne de son attractivité musicale et plus largement artistique. Mozart en tirera une parenthèse enchantée, brève, mais assez, par exemple, pour écrire son « Don Giovanni ».
Ce lien avec la Bohème est entretenu par Václav Lucks et son Collegium 1704 qui offre un Mozart revigorant, même s’il a déplacé cette nouvelle production de Vienne à Brno, l’autre capitale culturelle de Tchéquie. En vieux complice, Jiří Heřman, auquel on doit la mise en scène d’« Alcina » de Haendel (en 2022 à Caen) participe à la réussite de cette entreprise tchèque de A à Z.
Ambiance rococo à souhait _ c’est l’époque _ avec le rideau de scène aux nuages joufflus comme des choux à la crème. Il se lève sur un décor à la Antoine Watteau ou plutôt à la Jean-Honoré Fragonard. Au moins là, on n’a pas cédé à un modernisme glacé. Au contraire assumé un contexte historique qui n’en souligne pas moins l’universalité du propos.
Costumes couleurs de bonbonnière, perruqués et poudrés, les couples mixtes de danseurs créent une ambiance de comédie-ballet rythmée par la symphonie d’ouverture. C’est bien une « folle journée » qui est lancé. La direction soutenue de Václav Lucks ne baissera pas d’un ton.

Les imbroglios amoureux constituent tout le sel de l’œuvre, ponctués de quiproquos, de ruses, de sentences bien senties et de coup de théâtre, où la musique de Mozart fait merveille. Le décor gigogne, aux éléments ascensionnels, participe d’une mise en scène de portes et de couloirs propices aux rebondissements et confusions.De même, les situations dans les bosquets tiennent des parties de cache-cache, dont le comte Almaviva devra reconnaître et sa défaite et le remords de son inconduite au bénéfice de sa légitime. Seul « horsain » dans cette distribution tchèque, Luigi De Donato a retrouvé la scène de Caen, qu’il avait foulée pour le Sant’Alessio des Arts Florissants, dans le rôle de Dominio.
Il campe un comte Almaviva convaincant dans sa balourdise et dont se moque d’entrée Figaro, son valet de chambre (« Se vuol ballare » … Si vous voulez danser…). Autre baryton, Roman Hoza, présente un pendant très équilibré au timbre du comte. Les rôles féminins tiennent une place particulière, qui n’a pas besoin de faire chausser des lunettes « Metoo ».

On ne se cachera pas une affection privilégiée pour Doubravka Novotná dans le rôle Susanna, soubrette de la comtesse et fiancée de Figaro. Sa silhouette menue au sourire espiègle ne laisse pas soupçonner la puissance de son timbre. Quelle clarté chez cette soprano ! Quel jeu de comédienne aussi.
Elle n’efface pas pour autant la belle qualité de métier de Simona Šaturová, la comtesse. Sa cavatine « Porgi amor quelche ristoro », (Amour donne-moi un remède) est poignante d’émotion. Les deux interprètes, la camériste et sa maîtresse, se retrouvent dans le délicieux duo « Cosa di narri » et « Sull aria », où elles fomentent un piège le comte.
Václava Krejčí Housková joue remarquablement de l’ambigüité du personnage de Cherubini, le chéri de ses dames, dont les élans amoureux s’expriment dans un des airs les plus connus des « Noces », « Voi che sapete che cosa è amor » (Vous qui savez ce qu’est l’amour). Destiné à l’armée sur décision du comte, il échappe à ce sort et servira de leurre par le jeu de travestissements.
Tous les autres rôles sont à l’unisson de ce spectacle total, où la belle langue italienne est précieusement respectée. Et convient de ne pas oublier l’excellent chœur de l’Opéra Janájček du Théâtre national de Brno. Ses membres ne se contentent pas de chanter, ils participent avec drôlerie l’action.
Les danseuses et danseurs ne sont pas en reste jusqu’à suggérer un fantasme érotique inspiré par les bosquets. Non sans avoir, deux actes avant, apporté une note scatologique aux dépens de la gouvernante Marcelline, ce que l’Amadeus de Milos Forman n’aurait sans doute pas désavoué. Et puisque tout est bien qui finit bien, chacun a retrouvé sa chacune et réciproquement. Champagne ! Mais quelle journée !
« Les Noces de Figaro » par le Collegium 1704 et le Chœur de l’Opéra Janájček du Théâtre national de Brno, représentations données au théâtre de Caen, vendredi 25, dimanche 27 et mardi 29 avril 2025.
Le rôle de Susanna a été tenu par Doubravka Novotná, au cours des représentation des 25 et 27 avril. Andrea Široká a repris le rôle pour celle du 29.
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