L’intimisme jazzy de Stacey Kent

Accueillie au théâtre de Caen, la chanteuse américaine Stacey Kent a conquis un public venu en nombre. De part et d’autre de la scène, la joie était grande de pouvoir partager enfin un moment musical. Entourée de Jim Tomlinson, aux saxophones, flûtes et percussions et du pianiste Art Hirahara, l’artiste a offert une heure un quart d’enchantement avec des mélodies jazzy tirée de répertoires pop et de musique brésilienne. En toute intimité.

D’habitude, le lundi est un jour de relâche au théâtre de Caen. Mais entre les concerts reportés et le redémarrage de tournées, il n’y a que ce lundi 18 octobre de possible, sauf à ce que Michel Dubourg, le « Monsieur Jazz » de la scène caennaise, arrache ses derniers cheveux. Ouf, non ! Stacey Kent est bien là, en dépit d’une grosse attelle qui caparaçonne sa cheville droite _ un accident au tennis !

Il en aurait fallu plus pour que la chanteuse renonce à reprendre le chemin de sa scène. « Quel plaisir énorme », s’exclame-t-elle sourire éclatant, après quelques chansons. Elle doit son doute son excellent français, quelque fois bousculé, à son francophone de grand-père. Le confinement forcé n’a pas été pour autant du temps perdu. Il a été mis à profit par Stacey Kent et ses deux complices _ Jim Tomlinson qui est aussi son mari et Art Hirahara _. De leur retraite du Colorado est né un album.

(Photo Benoît Peverelli).

Voyages

« Songs from Other Places » marque ce retour, comme une invitation au voyage. L’intonation bossa nova ouvre son tour de chant. Elle  élargit l’horizon, relayée par ce titre explicite qui compte parmi ses succès,  « I Wish I Could Go Travelling Again ». On le doit à une collaboration entre le romancier britannique d’origine japonaise Kazuo Ishiguro (Nobel de littérature 2017) et Jim Tomlinson. Eux deux récidivent avec « Tango Macao », magnifiquement rythmé par le pianiste.

Qui a vu ou découvert Stacey Kent à Caen, il y a une bonne douzaine d’années, au festival Viva Voce, à Saint-Nicolas, la retrouve telle. L’artiste conserve cette voix fraîche, juvénile. Un zeste de nasillé lui confère un charme fou. Sa personnalité se contient dans cette petite musique jazzy, loin des performances vocales, auxquelles certaines de ses consœurs se sentent obligées.

 

La connivence avec ses deux musiciens est totale. Le velouté du saxophone de Jim Tomlinson, le soyeux de sa flûte, la délicatesse des interventions percussives magnifient les interprétations de sa compagne. Le toucher d’Art Hirahara évoque celui d’un Michel Legrand et entraîne au-delà du simple accompagnement dans des intermèdes magiques.

De « Voyages », pour reprendre un titre du Québécois Raymond Lévesque, il est bien question avec des passeports portugais, anglo-américain ou français. Stacey Kent fait son miel des mélodies des Beatles Lennon-McCartney (« Blackbird ») ; d’Antonio Carlos Jobim (« Aguas de Março), dans l’interprétation de Georges Moustaki ; de Francis Lemarque (« Sous les ponts de Paris »)…

Fred, Paul et les autres

De Fred Astaire, dont elle avoue l’admiration qu’elle lui porte depuis son enfance, elle reprend avec sensibilité « By myself » tiré du film musical de Vincente Minnelli « Band Wagon » (« Tous en scène, 1953). D’un autre « héros » de son Panthéon, Paul Simon, elle adapte le célèbre tube « Americain Tune ». Et elle ajoute crânement son interprétation de « Ne me quitte pas » de Jacques Brel et Gérard Jouannest, dont on ne compte plus les différentes versions ; celles de Nina Simone, en français, et de Ray Charles (« If you go away »), comptant parmi les plus marquantes.

Par une coïncidence amusante du calendrier, la chanson était celle retenue la veille dans l’émission du dimanche soir « Repassez-moi l’ standard » sur France Musique. L’interprétation de Stacey Kent n’y figurait pas. Mais il est à parier que Laurent Valero, producteur-animateur de l’émission ne l’a pas découverte à temps. La chanteuse tire son épingle du jeu sur un terrain largement concurrentiel.

Un concert de Stacey Kent, c’est un bain de douceur, de délicatesse de mélodies apaisantes, de rythmes chaloupés, qu’elle conclut avec, à nouveau Carlos Jobim (« Imagina »), non sans mettre un point d’honneur à reprendre Pierre Barouh et sa « Samba Saranah ». Cela nous rapproche de la côte normande. Claude Lelouch a largement exploité cette création de l’auteur de « Dabadabada » dans son film « Un homme et une femme ». Une autre histoire d’amour…

 

Concert donné le lundi 18 octobre 2021, au théâtre de Caen. (Photo Benoit Peverelli).

 

 

 

 

 

 

 

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