Festival de Pâques, de l’Espagne à la Russie

 

Le festival de Pâques de Deauville se poursuit en « distanciel ». Le week-end dernier a offert un programme riche avec deux soirées, samedi et dimanche 24 et 25 avril, depuis la salle Elie-de-Brignac. Le premier a notamment mis la harpe et la voix à l’honneur dans des couleurs espagnoles avec des œuvres de Ravel, De Falla et Infante. Le second consacré à la musique russe a sorti de l’ombre le compositeur Mieczyslaw Weinberg et fêté Tchaïkovski. Et toujours des jeunes interprètes enthousiasmants, comme sait les révéler le festival depuis un quart de siècle.

La technologie du numérique offre un réjouissant pied-de-nez à la pandémie qui vide les salles de concert. Certes, la perception via un écran, même avec des enceintes réputées de qualité, ne vaut pas la relation directe entre l’interprète sur scène et le spectateur-auditeur. Internet n’en offre pas moins une écoute satisfaisante.

Déjà, le festival de Pâques a saisi depuis plusieurs années l’opportunité de la « toile » avec son site Music.aquarelle. Il participe à la diffusion du festival en cours. Il compte aussi un catalogue déjà copieux des œuvres interprétées au fil des précédentes éditions, y compris celles d’Août musical. On peut les réentendre, gratuitement toujours.

Les musiciens s’emploient eux-mêmes aussi à trouver des solutions. Ainsi, le site Récit Hall, partie prenante à Deauville, vient de l’initiative, entre autres, du musicien Ismaël Margain. Le pianiste en est le co-fondateur. Depuis juin 2020, quelque 200 concerts ont été ainsi rendus accessibles, avec « des réactions qui font chaud au cœur », a-t-il expliqué, en fin de concert, au micro de Tristan Labouret.

« Au jour, le jour »

l voit là un complément précieux pour promouvoir la musique. Et il lui tarde, comme à tous ses camarades musiciennes et musiciens de retrouver le chemin des salles et des festivals. Aucun ne manque de projets pour les mois qui viennent. Ainsi, la mezzo-soprano Adèle Charvet est attendue dans le rôle-titre de « Carmen » à l’Opéra de Bordeaux. « Mais, on avance au jour le jour », commente prudemment Ismaël Margain.

Un Ismaël Margain toujours éblouissant, en connivence parfaite avec Clément Lefebvre, qui suppléait à l’habituel compagnon de clavier du premier, Guillaume Bellom, retenu par un projet discographique. Aussi bien dans les « Danses andalouses » pour deux pianos d’Infante, que dans la « Rhapsodie espagnole » de Maurice Ravel, toujours pour deux pianos, le duo d’interprètes sert « avec une ardeur communicative les partitions.

Expériences 

La soirée avait commencé avec Ravel déjà. Son Introduction et allegro pour flûtes, harpe et quatuor à cordes répondait à une commande pour tester une harpe d’un modèle nouveau. L’œuvre du compositeur basque scintille de mille éclats sous les doigts magiques de Coline Jaget. La flûte de Mathilde Caldérini et le quatuor mené par le violon de Shuichi Okada lui offrent un écrin.

C’est également à une forme d’expérimentation que se prête Manuel de Falla quand il écrit en 1926 son Concerto pour clavecin et cinq instruments. Le clavecin n’a plus trop la cote à l’époque. Quand la grande Wanda Landowska plaide pour son instrument, elle pique la curiosité du compositeur, fasciné par le timbre qui s’en dégage.

Un petit opéra, « Les tréteaux de Maître Pierre » et surtout son concerto procèdent de cette expérience. Le talentueux Justin Taylor est au centre d’une interprétation mettent en valeur l’hybridation _ au sens positif du terme_ d’une inspiration baroque et d’un caractère moderne. Les cinq instruments qui l’entourent (violon, violoncelle, flûte, hautbois et clarinette) ajoutent à un environnement où la fantaisie se joue d’une précarité d’équilibriste.

Voix et harpe

Autre moment attendu de cette première soirée, la participation de la mezzo-soprano Adèle Charvet pour trois pièces d’un programme mettant en valeur ses qualités vocales. D’abord avec De Falla, à nouveau. Avec « Psyché », courte pièce pour voix et cinq instruments, la chanteuse y déploie un sens de la nuance _un peu comme on parle d’un toucher de balle au tennis _ que l’on retrouvera dans « Les trois poèmes de Mallarmé » de Maurice Ravel, nimbés d’une atmosphère qui balance entre fantastique et mystère.

Entre ces deux interprétations, Adèle Charvet, accompagnée de la seule harpe de Coline Jaget, a chanté deux des « Canciones populares » de De Falla, toujours. « Jota », mélodie fort connue contraste par son rythme et son dynamisme avec « Nana », une berceuse qu’aime à entendre sa petite nièce, révélera peu après la mezzo.

Aux marges de l’oubli

Le concert du dimanche aura entraîné dans un autre monde. Il a donné l’occasion de découvrir une œuvre et un compositeur aux marges de l’oubli. Mieczyslaw Weinberg avait vingt ans quand les forces nazies ont envahi son pays, la Pologne. Sa judéité ajoutait au danger qu’il courait et qui l’ont conduit à fuir en Russie, à défaut d’autre solution.

La protection d’un Chostakovitch, auquel le régime stalinien donnait pourtant des sueurs froide, sera déterminante pour Weinberg, qui restera en Russie jusqu’à sa mort, en 1996. En 1944, il compose son Quintette pour piano et quatuor à cordes, œuvre magistrale entremêlée d’austérité et d’élans avec un dernier mouvement qui s’offre une escapade surprise dans un pub irlandais.

Fin connaisseur du répertoire russe, le pianiste Jonas Vitaud, qui appartient comme son longtemps complice Bertrand Chamayou à la deuxième génération du festival de Deauville, conduit avec une attention fraternelle ses jeunes partenaires. Ceux-ci (David Petrlik et Camille Fonteneau, violons ; Manuel Vioque-Judde, alto ; Bumjun Kim, violoncelle) sont rejoints par l’altiste Mathis Rochat et le violoncelliste Volodia Van Keulen pour la deuxième partie du concert.

Autant le quintette de Weinberg sort de l’ombre, autant le « Souvenir de Florence » pour deux violons, deux altos et deux violoncelles, de Piotr Illich Tchaïkovski compte parmi les « standards » de la musique de chambre. Il correspond à une période euphorique pour le compositeur. Cela s’entend dans le jeu des six jeunes musiciens au fil des mouvements, dont le dernier s’achève en feu d’artifice.

 

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Concerts des samedi 24 et dimanche 25 avril 2021, en direct de la salle Elie de Brignac, à Deauville.

Ces concerts sont visibles et audibles pendant deux semaines à compter de la date de leur diffusion sur le site de RecitHall, et ce gratuitement (on peut faire un don de soutien).

Le site renvoie aussi sur celui festival de Pâques, avec accès à un programme riche de renseignements sur les œuvres et les interprètes.

Rappelons enfin que tous les concerts du festival et d’Août musical sont archivés sur music.aquarelle.com, où on peut les écouter sans restriction de temps. Et toujours gratuitement.

Prochain concert, samedi 1er mai, 20 h 30. Schubert, Mahler, Greif

Deuxième hommage à Olivier Greif, disparu en 2000, après le succès de ses « Chants de l’âme » parus à Deauville en 2020 dans la collection Deauville live de B Records, Choc Classica de l’année 2020. L’Atelier de Musique, orchestre du festival, réunira comme chaque année l’essentiel des ensembles de chambre en résidence à la Fondation Singer-Polignac. Il sera dirigé par Pierre Dumoussaud avec comme solistes Edwin Fardini, Pierre Fouchenneret, Lise Berthaud, Yan Levionnois et Philippe Hattat. Entre les deux œuvres inédites au disque de Greif (symphonie avec voix et quadruple concerto), les Ruckert-Lieder de Mahler (transcription Kloke) et trois Lieder de Schubert (transcription Brahms, Reger, Offenbach) seront chantés par Edwin Fardini.

 

Concert en hommage au Professeur Yves Pouliquen (1931-2020), de l’Académie Française , président de la Fondation Singer-Polignac


Arrangement pour ensemble de chambre d’Eberhard Kloke.

 

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