« Miranda », la noyée était en noir

e Miranda, seul personnage féminin de l’ultime pièce de Shakespeare, « La Tempête », la librettiste Cornelia Lynn et la metteure en scène Katie Mitchell ont tiré une libre adaptation contemporaine. Elles en ont fait un drame musical sur des partitions d’Henry Purcell sélectionnées par Raphaël Pichon pour son ensemble Pygmalion. « Miranda » est une œuvre intense.  Son effet de surprise bouscule l’ordre patriarcal comme une nécessité vitale. La distribution et l’orchestre sont au top.

Miranda (Kate Lindsey), la "noyée" vient régler ses comptes avec son père Prospero (Henry Waddington). Photo Pierre Grosbois.
Miranda (Kate Lindsey), la « noyée » vient régler ses comptes avec son père Prospero (Henry Waddington). Photo Pierre Grosbois.

Le théâtre et son double musical constituaient à l’époque de Purcell (1659-1695) un genre appelé semi-opéra. Katie Mitchell et Cornelia Lynn le reprennent à leur compte dans une création transposée dans l’Angleterre d’aujourd’hui. Elles ont élaboré une trame à partir de la personnalité de Miranda, la fille de Prospero dans l’œuvre de Shakespeare, dont elles imaginent un retour plusieurs années après la fin de la pièce.

Cette intrigue se calque sur un choix de musiques de Purcell. Raphaël Pichon a puisé notamment dans « The Tempest », évidemment inspirée du dramaturge élisabéthain; aussi dans « The Fairy Queen » et autres œuvres de scène du compositeur. S’y ajoutent quelques pièces vocales et instrumentales de Matthew Locke et aussi d’anonymes.

Commando

L’intérieur d’une chapelle moderne et dépouillée. Seuls quelques tableaux géométriques rompent la sobriété de béton. Un office funèbre se prépare. La défunte est Miranda. Partie en mer, on ne l’a pas revue. La thèse du suicide entretient les commentaires. D’emblée, la tension est palpable. Prospero est irritable. Anna, sa jeune épouse enceinte, en subit les conséquences. Anthony, le fils de la noyée, est mutique. Ferdinand, le mari, est décomposé par son brusque veuvage.

On s’avance vers une cérémonie dominée par le chagrin. Mais des signes menacent l’ordonnancement : des bruits de bousculade au dehors ; l’incursion d’une jeune femme qui veut s’emparer du portrait de la disparue. Soudain surgit une mariée, le visage masqué de noir sous le tulle. Elle brandit un pistolet. Elle n’est pas seule. L’accompagne quatre personnes, cagoules et vêtements sombres, tel un commando d’indépendantistes corses. Elles tiennent en otage l’assemblée, qui va devoir entendre la véritable histoire de Miranda.

On devine sous le voile la « noyée ». Elle a simulé sa disparition pour mettre Prospero  devant ses responsabilités d’un père mal aimant, indifférent au viol qu’elle a subi _ l’auteur semble bien être Caliban le serviteur de la maison _, un père enfin empressé d’imposer un mariage précoce. Il en faudrait plus pour ébranler le patriarche, au contraire d’un mari suppliant. L’espoir vient du jeune Anthony qui retrouve sa mère ; d’Anna aussi qui veut envisager l’avenir avec Prospero et leur enfant à naître. Mais ce sont de sombres desseins qui animent le père de Miranda. A la mesure des désillusions d’un temps qu’il a cru égoïstement heureux.

Féministe

La musique s’immisce somptueusement poignante tout au long de ce drame où le jeu théâtral superpose l’action présente et l’évocation du passé, où au noir du deuil se substitue le noir vengeur et, finalement, libérateur. Il témoigne d’une défense en quête d’un amour désespéré de la part d’une jeune femme qui n’a que le tort de susciter les regards masculins.

La création de « Miranda », il y a dix-huit mois à l’Opéra Comique, a divisé la critique parisienne. Le propos volontairement féministe de Katie Mitchell a indisposé certaines plumes. On peut s’en étonner devant la sincérité de la démarche, qui concerne tout le monde, dans un spectacle tenu de bout en bout. La voix de la mezzo Kate Lindsey offre à Miranda cette plainte rageuse de larmes bridées.

Katherine Watson, soprano, incarne une Anna touchante d’attention et d’embarras mêlés. Son « Alleluia », dont elle prend le relais d’un Anthony trop ému (belle prestation inspirée du jeune Arsène Augustin de la Maîtrise de Caen), est magnifique d’intensité. Romain Bockler est parfait en pasteur réconciliateur contrarié. Son rôle de Ferdinand est limité, mais le ténor Rupert Charlesworth dévoile un timbre remarquable de nuances. Henry Waddington a toute l’autorité d’un chef de famille, ébranlé au final.

Raphaël Pichon dirige un chœur et un orchestre au mieux de leur forme. Ils assurent  une concentration sans répit par des continuos et rythmes sans failles (les tambours de la procession funèbre) et des phrasés lumineux des cordes. Ce qui n’est pas un moindre exploit dans une atmosphère de demi-jour qui enveloppe ce semi-opéra.

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« Miranda », représentations données mardi 23 et mercredi 24 avril 2019 au théâtre de Caen.

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