« Dios proveera » au théâtre de Caen : De l’art de faire tomber les barrières

David Bobée est dans son jardin au théâtre de Caen. Car on ne peut pas dire que la Comédie de Caen lui fasse la cour. Du moins, c’était vrai tout pendant que Jean Lambert-Wild assurait la direction du centre dramatique. Le théâtre caennais aura, lui, permis de suivre tout le travail créatif de l’enfant du pays, dont les premiers pas au festival universitaire des Fous de la Rampe puis au sein du « laboratoire » lancé par Eric Lacascade, avaient révélé un talent en devenir.

A la tête maintenant du centre dramatique de Haute-Normandie, David Bobée fait partie des valeurs montantes du théâtre d’aujourd’hui. Entre parenthèses, on ne sait pas ce qui résultera de la fusion des deux régions normandes quant à ses deux centres dramatiques nationaux. Mais là, n’était pas la question avec « Dios proveera », le tout nouveau spectacle de David Bobée, issu d’une résidence du festival Spring de Cherbourg.

Evocation de la Colombie, « Dios proveera » laisse bouche bée devant la performance des acrobates dans une dramaturgie sans paroles ou presque. David Bobée est allé les chercher jusque dans un quartier populaire de Bogota ces jeunes artistes de la Gata Cirko. Cette quête n’est pas sans rappeler la démarche de Rodrigo Garcia avec les Murgueros, danseurs du carnaval de Buenos Aires pour son spectacle saisissant et assez étouffant, « Cruda, vuelta y vuelta, al punto, chamuscade », présenté à Avignon 2007.

On pense aussi bien sûr dans l’intention à Aurélien Bory, qui  avait plus d’un tour dans son sac pour la deuxième fois qu’il travaillait avec le Groupe acrobatique de Tanger. Précédant « Dios proveera » d’un mois et demi  sur la scène du théâtre de Caen, son « Azimut », inscrit lui aussi dans le « nouveau cirque », entraînait dans une  intériorité quasi utérine.

Inscrit lui aussi dans le défi à la physique et au physique,  le propos de David Bobée n’en est pas moins tout autre. Avec pour seuls décor et accessoires des barrières de sécurité, tirées du stock de Vigipirate ou d’ailleurs, son spectacle font se répondre les contrepoids nécessaires aux figures acrobatiques et les contrepoints d’une musique baroque importée par les conquistadores.

Mais il n’y avait pas que des partitions dans les bagages des soldats et des missionnaires  de la très catholique Espagne. Le  fer, le feu et le fouet ont accompagné la progression de ces nouveaux maîtres. L’histoire pourrait bien se répéter aujourd’hui, du moins avec son cortège d’inégalités, d’affrontements et de violences dans un pays en proie de surcroît  à une guérilla dévoyée par le trafic de drogue et l’extorsion de fonds.

Beaucoup tout ça ! Mais le mérite de David Bobée et d’apporter une sorte de légèreté sans nuire à la dureté du sujet. Cela tient à la chorégraphie de sa mise en scène, dans laquelle se love la musique interprétée en direct par l’ensemble Les Nouveaux Caractères de Sébastien d’Hérin : quatre instrumentistes et une soprano.  Où l’on se rend compte combien ce répertoire  d’essence religieuse a été absorbé au fil des ans, au point d’y intégrer des percussions locales.

Cela tient aussi à cette dose d’ironie incarnée par le même personnage, qui accumule, il faut quand même le dire, des clichés. Chacune de se ses apparitions _ jésuite en chasuble, Christ piètre chanteur ou Superman de pacotille _ fait un « bide ». Evidemment. Humour aussi quand les onze artistes de la Gata Cirka évoluent dans un ballet, en policiers avec toute la panoplie anti-émeutes.  On n’est pas loin du « peace and love » aussi hippie que dépouillé.

Ce que confirme la déclaration finale portée par la voix d’un des interprètes. Où tout pourrait aller mieux si on faisait vraiment tomber les barrières sans doute. Il y a un peu de naïveté dans ce discours. Mais, bon sang, on en a bien besoin en ce moment ! « Dios proveera » (Dieu pourvoira, dicton d’incrédulité en fait), répond d’une certaine façon à « Aliados » (Alliés), vu une semaine plus tôt sur la scène du théâtre de Caen.

 Cet opéra politique, signé Sebastian Rivas pour la musique et Estaban Buch pour le livret, est inspiré De l’ultime rencontre à Londres entre Augusto Pinochet et Margaret Thatcher, en 1999. Le vieux dictateur chilien et la Dame de fer avaient des convergences de vues et d’intérêt autour du conflit des Malouines (1982) archipel britannique convoité par une Argentine défaite à plate couture.

Traversé par le fantôme d’un conscrit argentin, cet objet artistique saisissant et hors normes bénéficie du travail d’Antoine Gindt, jouant à la fois sur la vidéo et la modulation du son. On devait à ce metteur en scène le « Ring Saga » présenté à Caen en 2012. Y figurait la mezzo Nora Petrocenko,  que l’on retrouve là en Margaret Thatcher, en proie à des amnésies, devant le vieux général simulant la sénilité pour échapper à la justice internationale.  Intox, manipulation enveloppent ce crépuscule de chefs d’Etat.

Le 13 mars 2015.

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